Ilest aussi connu pour avoir introduit de maniĂšre active la psychologie dans son domaine, ce qui selon lui est devenu indispensable. On m’a proposĂ© un sujet d’exposĂ© en cours de philo qui est de savoir pourquoi existe-t-il plusieurs styles artistiques, en s’appuyant sur une Ɠuvre considĂ©rable de Gombrich, L’art et L’illusion. LIllusion comique est une piĂšce baroque puisqu’elle est prĂ©dominĂ©e par les apparences et par une recherche incessante de la variĂ©tĂ©, du changement. Les spectres animĂ©s par Alcandre dans l’acte I (et tout au long de la piĂšce) sont aussi des apparences. Alorsque dans le doublage, c’est toute une Ă©quipe qui opĂšre la mĂ©diation entre la version originale et le spectateur : traducteur/adaptateur, comĂ©diens, techniciens de son, rĂ©alisa-teur. Il s’agit de recrĂ©er toute la bande sonore du film pour crĂ©er l’illusion d’une action qui se dĂ©roule dans la langue cible. Le doublage Lart semble donc bien ĂȘtre une illusion, dans le sens oĂč ce qu'il montre n'est pas un objet sensible, mais son imitation. Cependant, l'illusion n'a pas toujours vocation Ă  tromper les sens : dans le cas de l'eikon, l'art ne cherche pas Ă  nous duper, mais Ă  imiter la nature. NĂ©anmoins, on peut se demander si une telle dĂ©marche est utile. Selonmoi, l'art serait l'imitation du rĂ©el. Tout d'abord le mot « art » provient de « technĂ© » se traduisant par la technique, qui est Ă  l’origine produit par l’homme, ayant pour but de produire des objets. Des philosophes considĂ©raient l'art comme une Vay Tiền Online Chuyển KhoáșŁn Ngay. 1DĂšs l’épigraphe de la premiĂšre partie de sa nouvelle Sarrasine, Balzac revendique l’hĂ©ritage du romantisme allemand Croyez-vous que l’Allemagne ait seule le privilĂšge d’ĂȘtre absurde et fantastique ? » [1] La nouvelle s’ouvre, d’une façon Ă  la fois sinistre et burlesque, sur une opposition entre la danse des vivants reprĂ©sentĂ©e par le bal auquel participe le narrateur, et la danse des morts qu’offre la nature hivernale, opposition entre l’intĂ©rieur et l’extĂ©rieur, la nature et la civilisation. Ce faisant, l’écrivain souligne tout le caractĂšre factice de la sociĂ©tĂ© dĂ©crite, mais il inscrit aussi son intrigue dans un climat fantastique, rendant hommage sans doute Ă  Hoffmann, dans sa Vision sur le champ de bataille de Dresden [2], mais aussi Ă  Goethe, auteur d’une ballade intitulĂ©e La Danse des morts » Der Totentanz » en 1797, l’annĂ©e des ballades, celle oĂč Goethe cherche Ă  s’illustrer dans les formes populaires de la littĂ©rature. Sur le ton Ă  la fois macabre et ironique que reprendra Balzac, Goethe avait mis en scĂšne un cliquetis de squelettes qu’il sĂ©parait fondamentalement, lui aussi, du monde des vivants. Dans la France de 1830, au moment de la composition de Sarrasine, Goethe est bien sĂ»r cĂ©lĂšbre pour son Werther, en particulier depuis la critique qu’en proposa Chateaubriand dans RenĂ©, mais surtout, de façon plus nĂ©gative, pour son Faust, Ă  qui Zambinella est d’ailleurs comparĂ©, et que Benjamin Constant avait appelĂ© une dĂ©rision de l’espĂšce humaine » [3]. C’est de ce privilĂšge d’ĂȘtre absurde et fantastique » que se rĂ©clame Balzac avec Sarrasine, selon la mode allemande, mais une mode qui n’inclut pas Heinrich von Kleist. 2Dans son essai consacrĂ© au théùtre de marionnettes Über das Marionettentheater, achevĂ© en dĂ©cembre 1810, celui-ci est sans doute pourtant plus proche encore des thĂ©ories esthĂ©tiques esquissĂ©es par Balzac dans Sarrasine. Nulle dette directe, assurĂ©ment, de la part de Balzac, mais plutĂŽt une simple convergence, car l’essai trĂšs bref mais trĂšs fameux de Kleist n’a suscitĂ© en France qu’un intĂ©rĂȘt trĂšs tardif, sa premiĂšre traduction ne datant que de 1937 [4]. Au moment oĂč Balzac rĂ©digeait sa nouvelle, en novembre 1830, Kleist n’était en fait guĂšre lu, et encore moins jouĂ© en France puisque seuls quelques-uns de ses contes venaient d’ĂȘtre traduits, avec, il est vrai, un certain succĂšs [5]. La gĂ©nĂ©ration romantique française, c’est bien connu [6], a prĂ©fĂ©rĂ© les contes d’Hoffmann Ă  l’Ɠuvre d’un auteur dont la francophobie trop affirmĂ©e a sans doute heurtĂ© le sentiment national [7]. Pierre Brunel a du reste insistĂ© sur le contexte hoffmannien de la parution de Sarrasine dans la Revue de Paris, qui venait de faire paraĂźtre, l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, en 1829, plusieurs textes d’Hoffmann dans une traduction de LoĂšve-Veimars [8]. Selon lui, Balzac propose d’abord une parodie des romans d’Ann Radcliff, dont le merveilleux est considĂ©rĂ© en France comme mĂ©canique » parce qu’un mĂ©canisme intervenait Ă  la fin pour expliquer les mystĂšres [9]. Mais surtout, et plus essentiellement, il rĂ©pond au fantastique Ă  la Hoffmann qui rĂ©side dans la radicale impossibilitĂ© oĂč se trouve le hĂ©ros de dĂ©cider et de donner Ă  ses interrogations une rĂ©ponse satisfaisante ». En rĂ©ponse, Balzac proposerait donc un fantastique Ă  la française » [10], Ă©vitant le risque d’absurditĂ© » [11] d’Hoffmann Pierre Citron note comme un fait rare chez Balzac » que la logique et la vraisemblance n’existent pas », et que le narrateur n’explique rien » [12]. En faisant Ă©cho Ă  plusieurs contes, en particulier L’Église des jĂ©suites [13], Sarrasine semble donc mettre, mĂȘme sous une forme critique, Hoffmann Ă  l’honneur, comme le faisait une bonne partie du public français. 3Le nom de Kleist, pour sa part, n’est connu que par l’atteinte qu’il porte aux lettres françaises, et en 1807 le Journal de Paris s’indigne par exemple que des critiques allemands aient trouvĂ© l’Amphitryon de Kleist supĂ©rieur Ă  celui de MoliĂšre, tout comme il s’était offusquĂ© l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente que l’éditeur allemand de la PhĂšdre de Schiller ait pu en trouver le texte supĂ©rieur Ă  celui de Racine [14]. L’écho que reçoivent pourtant en France les thĂ©ories esquissĂ©es dans l’essai sur le théùtre de marionnettes permet d’y dĂ©finir, par contraste, un romantisme allemand Kleist, s’il n’appartient pas au cercle d’IĂ©na, reste sur plusieurs points proche des conceptions dĂ©veloppĂ©es quelques annĂ©es plus tĂŽt par les frĂšres Schlegel. 4Sa rĂ©flexion sur le théùtre de marionnettes s’articule sur une intrigue assez banale la rencontre, un soir d’hiver, dans un jardin public, entre le narrateur et un danseur d’opĂ©ra. La conversation qui s’engage porte immĂ©diatement sur un spectacle de théùtre de marionnettes, au cours duquel le narrateur a notĂ© avec surprise l’enthousiasme du danseur. Ces donnĂ©es de dĂ©part sont dĂ©jĂ  significatives sa propre prĂ©sence Ă  cette reprĂ©sentation et en mĂȘme temps le recul ironique qu’il observe Ă  l’égard de l’intĂ©rĂȘt du danseur font du narrateur une projection du lecteur, normalement rĂ©servĂ© sur la valeur artistique d’un genre dĂ©criĂ©, mais sujet lui-mĂȘme au charme inexplicable de ce type de spectacle. Elles annoncent Ă©galement le dĂ©bat qui va suivre et son issue. Le théùtre de marionnettes devient l’objet d’une rĂ©flexion plus gĂ©nĂ©rale sur la grĂące, dont les enjeux sont Ă  la fois esthĂ©tiques et mĂ©taphysiques. Le narrateur, bientĂŽt persuadĂ©, illustre la thĂ©orie du danseur par une anecdote sur un adolescent qui, Ă  peine conscient de sa grĂące, la perd aussitĂŽt en cĂšdant Ă  la vanitĂ©. C’est la seconde partie du texte, celle oĂč les voix cessent de diverger pour envisager les prolongements de cette thĂšse sur la grĂące. À son tour, le danseur propose une anecdote sur un singulier combat d’escrime contre un ours, oĂč l’instinct brut de ce dernier a raison de la technique affinĂ©e du danseur. Dans les deux anecdotes comme dans le cas du théùtre de marionnettes, la grĂące, qui rĂ©side dans le mouvement, se trouve opposĂ©e Ă  la conscience imparfaite de l’homme. 5Dans le cadre d’une approche d’histoire littĂ©raire, cette cĂ©lĂ©bration du théùtre de marionnettes semble s’inscrire dans l’ancienne tradition du Puppenspiel que Herder, avant le premier romantisme allemand, avait mise Ă  l’honneur au mĂȘme titre que l’ensemble du Volkstheater. Le romantisme allemand a sur ce point fait Ă©cho au jugement de Herder. Toute l’esthĂ©tique du romantisme est peuplĂ©e de poupĂ©es », constate plus prĂ©cisĂ©ment Bernhild Boie. Cependant, entre l’automate de Jean-Paul et la marionnette de Kleist s’opĂšre le passage d’un symbole nĂ©gatif Ă  un symbole positif » dans la crĂ©ation littĂ©raire [15]. Choisir comme figure esthĂ©tique par excellence » une figure qui appartient au domaine de l’enfance », comme le remarque Ă  nouveau Bernhild Boie, n’a certes rien de gratuit, et vise Ă  associer, selon un schĂ©ma traditionnel, l’art Ă  l’innocence [16]. Le genre mĂȘme du théùtre de marionnettes joue un rĂŽle fondamental pour toute cette gĂ©nĂ©ration Tieck lui doit en partie l’une de ses productions les plus originales avec sa Genoveva. De mĂȘme, Goethe insiste sur le rĂŽle qu’il a jouĂ© dans sa formation littĂ©raire. DĂšs le premier livre de PoĂ©sie et VĂ©ritĂ©, il Ă©voque le théùtre de marionnettes offert par sa grand-mĂšre Ă  l’occasion d’un NoĂ«l. Il rappelle ailleurs que l’idĂ©e mĂȘme de Faust est issue du théùtre de marionnettes familial de son enfance, dont Faust et MĂ©phistophĂ©lĂšs formaient deux des figures marquantes. 6La figure de la marionnette est plus gĂ©nĂ©ralement reprĂ©sentative d’un Beau idĂ©al liĂ© au merveilleux et au rĂȘve attachĂ©s Ă  une littĂ©rature pour enfants. Schlegel commente dans ces termes les fĂ©es du Songe d’une nuit d’étĂ© leurs passions, dĂ©pouillĂ©es de tout alliage terrestre, ne sont qu’un rĂȘve idĂ©al » [17]. Attirant Ă  son tour l’attention sur le merveilleux contenu dans la reprĂ©sentation d’un monde de fĂ©es, Tieck, qui compare cette piĂšce et La TempĂȘte Ă  des rĂȘves radieux », assigne pour but Ă  Shakespeare de bercer le spectateur dans la perception d’un rĂȘveur », lecture qui nous rapproche aussi bien de ce que se propose Kleist dans Le Prince de Hombourg que du théùtre de marionnettes [18]. 7Balzac, sur un mode trĂšs diffĂ©rent, reprend dans Sarrasine la rĂ©flexion des romantiques allemands sur le Beau idĂ©al. Comme Kleist, il suggĂšre l’opposition, probablement hĂ©ritĂ©e de Mme de StaĂ«l dans De l’Allemagne, entre l’artifice parisien et l’authenticitĂ© allemande il se rencontrait çà et lĂ  des Allemands qui prenaient pour des rĂ©alitĂ©s ces railleries ingĂ©nieuses de la mĂ©disance parisienne » [19]. Par le biais de la recherche de la vĂ©ritĂ© dans l’art, le motif du Beau idĂ©al est introduit dĂšs le dĂ©but Ă  travers le personnage de Marianina, comparĂ© Ă  la fille du sultan dans le conte de La Lampe merveilleuse, et qui savait unir au mĂȘme degrĂ© la puretĂ© du son, la sensibilitĂ©, la justesse du mouvement et des intonations, l’ñme et la science » [20]. La rĂ©fĂ©rence Ă  l’ñme Ă©tablit le rapport entre esthĂ©tique et mĂ©taphysique, qui se trouve au centre du texte de Kleist. Mais, plus proche encore de l’imaginaire de Kleist, Balzac confond, par l’intermĂ©diaire du narrateur, l’idĂ©al et le rĂ©el Par un des plus rares caprices de la nature, la pensĂ©e en demi-deuil qui se roulait dans ma cervelle en Ă©tait sortie, elle se trouvait devant moi, personnifiĂ©e, vivante, elle avait jailli comme Minerve de la tĂȘte de Jupiter [
] » [21]. Comme chez Kleist enfin, la rĂ©flexion sur le Beau idĂ©al prend assise sur le modĂšle du théùtre de marionnettes le vieillard, qui, par contraste avec la vitalitĂ© de Marianina, incarne la mort, semblait ĂȘtre sorti de dessous terre, poussĂ© par quelque mĂ©canisme de théùtre » [22]. Chez Kleist en effet, le mouvement de la marionnette produit, en Ă©liminant les contingences physiques, une idĂ©e du beau dans la danse » [23] ; il reprĂ©sente, plus prĂ©cisĂ©ment, le Beau idĂ©al, illustrĂ© par la simplicitĂ© de la ligne droite ou courbe [24], qui se trouve au centre de l’esthĂ©tique romantique. La comparaison entre le théùtre de marionnettes et la danse prend ici une signification nouvelle. Le mouvement de la marionnette, Ă©levĂ© Ă  l’harmonie de la danse, reprĂ©sente le Beau idĂ©al en matiĂšre de théùtralitĂ©. Soumis Ă  la gravitation, le danseur lui-mĂȘme ne peut l’approcher qu’imparfaitement. 8L’image du mĂ©canisme de théùtre chez Balzac est proche d’une telle position. À un premier niveau de lecture, la matĂ©rialitĂ© brute de la marionnette reprĂ©sente la mort. Dans son interprĂ©tation psychanalytique de la poupĂ©e, Jeanne Danos remarque qu’en donnant l’image d’un monde rĂ©ifiĂ©, celle-ci a par contraste rapport Ă  l’idĂ©al, en tant que matĂ©rialisation d’une idĂ©e. C’est le sens qu’elle attribue Ă  l’entreprise surrĂ©aliste, qui illustre bien cette conception de la poupĂ©e comme projection d’un fantasme L’expĂ©rience ultime de leur tentative rĂ©side dans l’automatisme, graphique, plastique ou verbal, mais aussi dans la crĂ©ation d’objets oniriques, vĂ©ritables “dĂ©sirs solidifiĂ©s”. » [25] 9Enfin, comme pour la marionnette, c’est l’apparence d’une crĂ©ation artificielle » [26] qui, dans le vieillard de Balzac, rapproche le rĂ©el de l’idĂ©al. La fin de la nouvelle revient sur cette idĂ©e d’artifice, attachĂ©e cette fois Ă  la figure de l’eunuque Il n’y a plus de ces malheureuses crĂ©atures
 » [27] DĂšs la fin de la premiĂšre partie, intitulĂ©e Les deux portraits », la rĂ©flexion sur le Beau idĂ©al s’attache plus clairement Ă  ce personnage Il est trop beau pour ĂȘtre un homme ! » dĂ©clare l’accompagnatrice du narrateur devant l’Adonis peint qu’elle dĂ©couvre dans le boudoir oĂč elle s’est rĂ©fugiĂ©e ; il s’agit, lui explique ce dernier, d’un portrait, rĂ©alisĂ© d’aprĂšs une statue de femme » [28]. La beautĂ© est d’autant plus idĂ©ale que l’Ɠuvre est moins rĂ©fĂ©rentielle dans le portrait, l’Ɠuvre prend son modĂšle dans l’art, non dans le rĂ©el. Toute la nouvelle joue sur ce va-et-vient, car dĂšs le dĂ©but de la seconde partie, le Beau idĂ©al est de nouveau rattachĂ© au rĂ©el Ă  travers le regard de Sarrasine, qui observe Zambinella dans sa jeunesse 10 Il admirait en ce moment la beautĂ© idĂ©ale de laquelle il avait jusqu’alors cherchĂ© çà et lĂ  les perfections dans la nature, en demandant Ă  un modĂšle, souvent ignoble, les rondeurs d’une jambe accomplie ; Ă  tel autre, les contours du sein ; Ă  celui-lĂ , ses blanches Ă©paules ; prenant enfin le cou d’une jeune fille, et les mains de cette femme, et les genoux polis de cet enfant, sans rencontrer jamais sous le ciel froid de Paris les riches et suaves crĂ©ations de la GrĂšce antique. » [29] 11En filigrane, Balzac revient sur un dĂ©bat qui avait agitĂ© la critique d’art du tournant du siĂšcle, dĂ©bat oĂč les choix esthĂ©tiques ont en large part recoupĂ© les clivages politiques. Il a opposĂ© les tenants du Beau idĂ©al, hĂ©ritiers de Winckelmann et prĂ©curseurs du romantisme et les reprĂ©sentants du rĂ©gime napolĂ©onien, dĂ©fenseurs au contraire de la conception mimĂ©tique de l’art. Tandis que les uns tirent leurs positions de la distinction platonicienne entre l’idĂ©e et le rĂ©el, les autres partent du postulat d’une beautĂ© indĂ©passable de la nature. Or, Balzac prĂ©sente ici la beautĂ© idĂ©ale comme un dĂ©passement du beau de rĂ©union », notion qui, comme l’a montrĂ© Annie Becq, a Ă©tĂ© formĂ©e pour donner satisfaction Ă  la conception mimĂ©tique de l’art tout en Ă©vitant les objections des dĂ©fenseurs du Beau idĂ©al [30]. 12C’est essentiellement sous le Consulat et l’Empire que s’était dĂ©veloppĂ© ce dĂ©bat. QuatremĂšre de Quincy qui, dans son essai Sur l’idĂ©al dans les arts du dessin [31], se faisait, selon l’expression d’Annie Becq, le champion du Beau idĂ©al » [32], Ă©tait en particulier contestĂ© par Ponce et Chaussard [33], qui lui opposaient l’idĂ©e de belle nature ». QuatremĂšre de Quincy faisait l’éloge des arts d’imitation ; mais l’imitation devait selon lui se rapprocher de l’idĂ©e, non de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle et contingente de la nature. Une telle justification platonicienne des thĂšses de Winckelmann rĂ©pondait Ă  l’objection soulevĂ©e par Emeric David, selon qui l’artiste ne saurait surpasser la nature [34]. De mĂȘme, selon Chaussard, se passer de l’imitation de la nature conduirait Ă  rien moins qu’à perdre l’art » [35]. Permon en concluait que c’est la nature, mais la belle nature, que les grands artistes se sont proposĂ©e pour modĂšle » [36]. Il se voyait appuyĂ© par l’ensemble de la critique nĂ©oclassique, en particulier par Geoffroy [37], alors que Mme de StaĂ«l, au contraire, rejetait les arts d’imitation, considĂ©rant que l’ impression qu’on reçoit par les beaux-arts n’a pas le moindre rapport avec le plaisir que fait Ă©prouver une imitation quelconque ; l’homme a dans son Ăąme des sentiments innĂ©s que les objets rĂ©els ne satisferont jamais, et c’est Ă  ces sentiments que l’imagination des peintres et des poĂštes sait donner une forme et une vie » [38]. Ainsi en allait-il pour Bonstetten Le vĂ©ritable gĂ©nie des arts ne veut rien copier » ; L’imitation n’est que le moyen et nullement le but des beaux arts. » [39] Or, la notion de beau de rĂ©union » Ă©tait Ă©troitement liĂ©e Ă  la conception mimĂ©tique de l’art et Emeric-David en illustrait le fondement Ă  travers l’exemple, demeurĂ© cĂ©lĂšbre, du peintre Zeuxis. Celui-ci, affirme-t-il, trouvait ce beau dans la nature, il savait le reconnaĂźtre, il en rĂ©unissait les traits qu’il voyait rĂ©pandus en diffĂ©rents modĂšles ; il n’était donc qu’imitateur » [40]. 13À travers l’idĂ©e de belle nature idĂ©ale, Cabanis rattachait le contingent Ă  l’universel, mais son idĂ©e du beau ne rĂ©sidait que dans des rapprochements que la nature n’opĂšre pas, et non dans la recherche de l’idĂ©e. C’est pour lui le fonctionnement mĂȘme de l’imagination que d’établir ces rapprochements qui de traits Ă©pars dans la nature forment un ensemble rĂ©gulier ». Mais le contemplateur de l’Ɠuvre ne peut se satisfaire de ces gĂ©nĂ©ralitĂ©s artificielles ; il lui faut ou tel homme, ou tel ĂȘtre dĂ©terminĂ©, ou telle particularitĂ© dans les images qui lui sont offertes, pour que son Ă©motion, se joignant Ă  l’admiration de l’esprit, en fixe le souvenir par des empreintes ineffaçables » [41]. 14Au contraire, Sismondi rĂ©pliquait Ă  Emeric-David pour rejeter le Beau de rĂ©union comme toute forme d’imitation de la nature. Son commentaire de la VĂ©nus d’Apelle est demeurĂ© lui aussi bien connu Il n’est pas vrai que la VĂ©nus d’Apelle ne fĂ»t que la rĂ©union de ce que le peintre avait trouvĂ© de plus beau dans les plus belles femmes son image existait dans le cerveau d’Apelle antĂ©rieurement Ă  cette rĂ©union ; c’est d’aprĂšs cette image qu’il choisissait ses modĂšles pour les diffĂ©rentes parties. » [42] SuggĂ©rant le dĂ©passement du beau de rĂ©union » par le Beau idĂ©al, il illustrait en fait ce qui a formĂ© chez Balzac l’évolution artistique de Sarrasine. Car plus gĂ©nĂ©ralement, Zambinella est l’objet chez Balzac d’une sĂ©rie de rĂ©flexions sur l’art qui confĂšrent Ă  la nouvelle une dimension critique. De mĂȘme le dialogue de Kleist est-il, par sa dimension dramatique, réécriture du genre qui est son objet, le théùtre ; par l’aspect narratif des deux anecdotes qu’il inclut, il s’érige en critique poĂ©tique, selon l’idĂ©al de Friedrich Schlegel pour qui le rĂ©cit littĂ©raire est la forme accomplie et moderne du dialogue philosophique [43]. De mĂȘme que, pour Friedrich Schlegel, le Wilhelm Meister de Goethe, lorsqu’il commente Hamlet au cinquiĂšme livre, est poĂ©sie de la poĂ©sie », Kleist rejoint ici l’idĂ©al d’une critique poĂ©tique, oĂč la narration serait un dĂ©passement de la reprĂ©sentation dramatique [44]. La poĂ©sie ne peut ĂȘtre critiquĂ©e que par la poĂ©sie », dĂ©clare F. Schlegel [45]. ConformĂ©ment Ă  cet idĂ©al d’une critique qui intĂšgre son objet et le dĂ©passe Ă  la fois, le dialogue philosophique prend pour point de dĂ©part de la discussion le théùtre folklorique. Essai par sa forme de fiction littĂ©raire assumant en mĂȘme temps une fonction critique, le texte de Kleist rejoint Ă©galement l’ancienne tradition du dialogue. 15Le Beau artistique, selon Balzac, apparaĂźt comme une illusion, celle de Sarrasine devant l’apparente fĂ©minitĂ© de Zambinella C’était plus qu’une femme, c’était un chef-d’Ɠuvre ! » [46] Comme chez Kleist, c’est par le mouvement, ou du moins sa suggestion, qu’elle rejoint l’art. Tel Ă©tait en effet le paradoxe kleistien emblĂšme de matĂ©rialitĂ© brute, la figure de la marionnette Ă©tait un dĂ©fi aux lois physiques et dĂ©gageait l’art de ses contingences matĂ©rielles pour le ramener Ă  la spiritualitĂ© Ă©purĂ©e qui en constitue la vĂ©ritable essence. L’argument se fondait sur la gravitĂ©, Ă  laquelle est soumis le danseur seul pour dĂ©signer le mouvement vers le sol, le texte oppose deux verbes en italique, effleurer », pour la marionnette, et reposer », pour le danseur [47]. Lorsque le danseur retombe, c’est au contraire pour se remettre des efforts de la danse », moment qui, manifestement, n’est pas de la danse ». La danse du danseur, contrairement Ă  la dynamique immatĂ©rielle de la marionnette, fait alterner des instants qui relĂšvent de l’art et d’autres oĂč apparaĂźt le support physique. Simone Weil, dans son essai intitulĂ© La Pesanteur et la GrĂące, prolonge sur ce point les rĂ©flexions de Kleist en soulignant l’implication morale de l’image kleistienne de la gravitation Tous les mouvements naturels de l’ñme sont rĂ©gis par des lois analogues Ă  celle de la pesanteur matĂ©rielle. La grĂące seule fait exception. » [48] Cette superposition du plan physique et du plan mĂ©taphysique formait le fondement mĂȘme de l’idĂ©alisme esthĂ©tique de Kleist. 16Balzac rejoint Kleist en situant dans l’expression du mouvement, c’est-Ă -dire dans la grĂące, la recherche artistique du Beau idĂ©al dans le rĂ©el Sarrasine crayonna sa maĂźtresse dans toutes les poses. » [49] La pose forme bien un arrĂȘt du mouvement, mais en tant que, comme dans la statuaire, il le suggĂšre et l’exprime. Balzac se sĂ©pare ici de Kleist, pour qui la grĂące dĂ©signe une essence, en prĂ©sentant l’art comme le lieu de l’illusion. En mĂȘme temps que l’illusion se dissipe et que la fĂ©minitĂ© de Zambinella s’efface du regard de Sarrasine, l’art du chanteur se dissipe aussi sa voix cĂ©leste s’altĂ©ra ». Comme la grĂące, l’art est donc associĂ© Ă  l’illusion ; la conscience le dissipe et produit l’affectation [
] Zambinella, s’étant remis, recommença le morceau qu’il avait interrompu si capricieusement ; mais il l’exĂ©cuta mal [
] » [50]. 17Toute la nouvelle se construit autour de cette relation Ă©quivoque entre l’art et le monde, l’Ɠuvre et son modĂšle. D’une part, la vie semble se confondre avec l’art Ă  travers le personnage de Zambinella Le théùtre sur lequel vous m’avez vue, ces applaudissements, cette musique, cette gloire, Ă  laquelle on m’a condamnĂ©e, voilĂ  ma vie, je n’en ai pas d’autre. Dans quelques heures vous ne me verrez plus des mĂȘmes yeux, la femme que vous aimez sera morte. » [51] La fĂ©minitĂ© idĂ©ale de Zambinella est créée par l’artifice du théùtre, et Balzac propose une variation du motif caldĂ©ronien de la confusion entre illusion et rĂ©alitĂ©. Mais la faute de Sarrasine est justement d’avoir commis cette confusion et l’art se distingue de la rĂ©alitĂ© en tant qu’illusion c’est une illusion ! » s’exclame Sarrasine, avant de mourir, en contemplant la statue qu’il a forgĂ©e [52]. L’illusion rĂ©side alors dans la transfiguration du rĂ©el par l’art Le chanteur [
] demeura sur une chaise, sans oser regarder une statue de femme, dans laquelle il reconnut ses traits » [53]. 18L’art cependant peut ĂȘtre Ă©galement vecteur de vĂ©ritĂ©, et dĂ©passer les apparences trompeuses du rĂ©el c’est le cas du portrait, Ă©tabli Ă  partir de la statue, et qui restitue l’eunuque Ă  sa virilitĂ©. Dans un sens ou dans l’autre, l’art se dĂ©tache finalement du rĂ©el, comme le montre la structure de la nouvelle chacune de ses deux parties, Les deux portraits » et Une passion d’artiste », s’achĂšve sur le rapprochement entre la beautĂ© idĂ©ale du portrait et la hideur du vieillard. Mais la relation qui les attache, par-delĂ  leur apparente opposition, n’est explicitĂ©e qu’à la fin de la nouvelle, oĂč le narrateur Ă©voque ce portrait qui vous a montrĂ© Zambinella Ă  vingt ans un instant aprĂšs l’avoir vu centenaire ». La transfiguration dans l’art se prolonge, et le portrait a servi plus tard pour l’Endymion de Girodet, vous avez pu en reconnaĂźtre le type dans l’Adonis » [54]. 19La nouvelle, qui dĂ©bute par l’évocation de deux tableaux – la danse des vivants et la danse des morts –, s’achĂšve Ă©galement sur deux transfigurations esthĂ©tiques, car le vieillard lui-mĂȘme ne relĂšve plus du rĂ©el. Sa premiĂšre apparition l’avait rapprochĂ© de la fiction romantique Sans ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment un vampire, une goule, un homme artificiel, une espĂšce de Faust ou de Robin des bois [
] » [55]. Cette structure circulaire de la nouvelle se gĂ©nĂ©ralise. Comme chez Kleist, elle implique un rapport au temps conçu comme mouvement vers une vĂ©ritĂ© originelle il s’agit du temps du mythe, de l’éternel retour. Zambinella est prĂ©sentĂ© au dĂ©but dans sa virilitĂ©, sous la forme d’un vieillard C’était un homme », affirme le narrateur, sans plus de prĂ©cision [56]. Tout au long de la seconde partie de la nouvelle, il n’est Ă©voquĂ© que comme une jeune femme, et ne redevient un vieillard qu’à la fin. 20Le mouvement mĂȘme de l’Ɠuvre de Balzac imite l’illusion qu’elle prĂ©sente, en appuyant l’opposition entre les deux parties. Alors que la premiĂšre prĂ©sente la vĂ©ritĂ© de Zambinella, elle le rattache systĂ©matiquement Ă  la fiction littĂ©raire, et l’histoire de la maison Lanty dans son ensemble est comparĂ©e Ă  l’univers des romans d’Anne Radcliffe » ou encore Ă  un poĂ«me de lord Byron » [57]. Le narrateur est pourtant protagoniste de cette intrigue, ce qui produit une illusion rĂ©fĂ©rentielle. Au contraire, la seconde partie est consacrĂ©e au rĂ©cit du narrateur et la situation d’énonciation insiste donc sur la mise en fiction, sur le glissement vers un autre espace littĂ©raire. Elle prĂ©sente Zambinella sous le jour de l’artifice et de l’illusion. Pourtant, par un curieux retournement, elle s’inscrit dans un cadre historique – la Rome du temps de Louis XV – prĂ©sentĂ© avec insistance, et les personnages historiques – Diderot, Rousseau – sont systĂ©matiquement mĂȘlĂ©s aux personnages de fiction comme Sarrasine ou Zambinella. 21Le jeu de Balzac avec l’illusion est peut-ĂȘtre une façon d’inscrire sa propre crĂ©ation dans l’illusion l’esthĂ©tisation littĂ©raire, Ă  laquelle procĂšde la seconde partie, reproduit ou prolonge la transfiguration accomplie par la statue, puis par le portrait. Le rĂ©el s’oppose alors Ă  l’art, comme le suggĂšre le personnage de Marianina, incarnation d’une fĂ©minitĂ© authentique, qui est Ă©galement une projection du vieillard. La fin de la premiĂšre partie met en scĂšne le vieillard en face du tableau qui reprĂ©sente sa virilitĂ©, mais aussi au bras de Marianina, qui est son alter ego fĂ©minin. Le contraste entre le tableau et le vieillard est alors redoublĂ© par celui entre Marianina et le tableau. En mĂȘme temps, Marianina, qui est chanteuse, est elle-mĂȘme une production de l’art et redouble l’opposition entre la rĂ©alitĂ© du vieillard, rattachĂ©e Ă  la mort, et sa transfiguration dans l’art, Ă©ternelle. 22Comme Kleist, Balzac associe le motif de la marionnette au Beau idĂ©al dans l’art, mais cet art repose pour lui sur une illusion, alors que, pour Kleist, art et illusion se confondent. L’atmosphĂšre onirique liĂ©e Ă  l’improbable rencontre formant l’intrigue de Über das Marionettentheater, et confortĂ©e par un flou suggestif dans les indications de temps et de lieu, n’est qu’une manifestation discrĂšte de cette confusion. L’illusion est par ailleurs le lieu de l’apprentissage pour le narrateur, qui est l’initiĂ© chez Kleist, alors qu’il est significativement celui qui enseigne chez Balzac. 23Cette prĂ©sence de l’illusion est ce qui confĂšre Ă  l’art sa dimension mĂ©taphysique. Ainsi chez Kleist, la ligne dĂ©crite par le mouvement de la marionnette est profondĂ©ment mystĂ©rieuse », car elle n’est rien d’autre que le chemin de l’ñme du danseur » [58]. Telle est l’interprĂ©tation du mystĂšre du mouvement des marionnettes, mouvement qui ne peut se rĂ©duire Ă  sa dimension mĂ©canique mĂȘme agitĂ©e de maniĂšre purement fortuite », la marionnette adoptait une sorte de mouvement qui ressemblait Ă  la danse » [59]. De sorte que l’innocence absolue de la marionnette rejoint la conscience illimitĂ©e du Dieu, tout comme se rencontrent, dans une vision circulaire, la matĂ©rialitĂ© brute et la pure transcendance le point de rencontre est la grĂące, notion mystĂ©rieuse, Ă  l’articulation de l’esthĂ©tique et du mĂ©taphysique. 24Ces implications mĂ©taphysiques s’enracinent chez Kleist sur une interrogation sur le lieu de l’ñme le mouvement de la marionnette, manipulĂ©e par des ficelles comme l’homme par un Dieu invisible, permettait selon lui de dĂ©finir l’emplacement de l’ñme dans le corps, et renvoyait Ă  l’hĂ©ritage de la pensĂ©e caldĂ©ronienne sur les rapports entre libertĂ© humaine et destinĂ©e. De mĂȘme, la rĂ©flexion de Balzac sur l’illusion dĂ©passe le cadre esthĂ©tique pour envisager une mĂ©taphysique qui le rapproche de l’hĂ©ritage caldĂ©ronien du romantisme Quand l’avenir du chrĂ©tien serait encore une illusion, au moins elle ne se dĂ©truit qu’aprĂšs la mort. » [60] 25Balzac rejoint ici l’ensemble de la pensĂ©e romantique allemande, oĂč l’esthĂ©tique se trouve au cƓur d’une rĂ©flexion mĂ©taphysique plus gĂ©nĂ©rale. Chez Kleist, cette perspective apparaĂźt dĂ©jĂ  dans la volontĂ© insistante du danseur de rapporter la grĂące aux lois physiques. Celle-ci se manifeste tout d’abord dans l’énumĂ©ration des figures gĂ©omĂ©triques dĂ©crivant le dĂ©placement du centre de gravitĂ© de la marionnette au cours de son mouvement ligne droite, courbe, du premier ou du second degrĂ©, ellipse. De mĂȘme, c’est en termes gĂ©omĂ©triques qu’est dĂ©crite la relation entre le machiniste et la marionnette le rapport de leurs mouvements est comparĂ© Ă  celui des nombres et de leurs logarithmes ou Ă  celui de l’asymptote et de l’hyperbole [61]. C’est, bien sĂ»r, une façon de suggĂ©rer la nĂ©cessitĂ©, c’est-Ă -dire l’absence de contingence du mouvement idĂ©al de la marionnette, mais aussi l’absence de libertĂ© de la marionnette, qui contraste ainsi avec l’homme, libre depuis la chute originelle. L’idĂ©e rappelle la conversion au catholicisme de plusieurs des figures allemandes du romantisme. 26Cette derniĂšre hypothĂšse de lecture se trouve nĂ©anmoins remise en cause par la conclusion que le danseur tire de l’aspect mĂ©canique du mouvement de la marionnette la possible Ă©limination du machiniste, dont l’action, rapporte le narrateur, pourrait ĂȘtre obtenue au moyen d’une manivelle, comme je l’avais pensĂ© » [62]. L’accord des personnages sur ce point masque une divergence plus profonde, car d’une observation commune la simplicitĂ© de la tĂąche du machiniste, ils tirent des conclusions opposĂ©es elle conduit pour le narrateur Ă  songer au caractĂšre rudimentaire du théùtre de marionnettes ; pour le danseur au contraire, Ă  la transcendance de la marionnette, qui ne tire pas son Ăąme du machiniste. Cette conclusion, toujours implicite dans le texte, se rattache d’une part Ă  l’indĂ©pendance de l’Ɠuvre Ă  l’égard de son crĂ©ateur, mais d’autre part et surtout Ă  l’opposition si chĂšre Ă  Kleist entre apparence et rĂ©alitĂ©, en l’occurrence ici entre les domaines physique et mĂ©taphysique, entre le mouvement et l’ĂȘtre de la marionnette. De lĂ  dĂ©coule l’ambivalence de la marionnette, instrument complĂštement mĂ©canisĂ©, mais qui Ă©chappe en dĂ©finitive Ă  la matiĂšre. DĂ©pourvu de toute contingence et de toute libertĂ©, le mouvement de la marionnette, par un curieux retournement, Ă©chappe en effet aux lois physiques. Les marionnettes, qui ont l’avantage d’échapper Ă  la pesanteur » et qui ne savent rien de l’inertie de la matiĂšre » [63], relĂšvent du domaine uniquement spirituel incarnĂ© par la danse, et rĂ©vĂšlent le rapport du corps et de l’ñme [64]. Paradoxalement, c’est au contraire l’homme qui, par l’affectation, perd la libertĂ© de son mouvement Une force invisible et inexplicable semblait contraindre, comme un filet de fer, le libre jeu de ses gestes. » [65] À cette affectation s’oppose la grĂące charmante » l’adjectif souligne l’aspect sensuel, mais surtout irrationnel d’un Ă©tat irrĂ©ductible aux lois physiques. En rĂ©alitĂ©, le passage du mouvement mĂ©canique de la marionnette Ă  la transcendance de la figure est suggĂ©rĂ© dĂšs le dĂ©but du texte, dans la corrĂ©lation, appuyĂ©e par l’italique, entre les mots droite » ou courbes » [66], et l’expression qui, un peu plus loin, donne sens Ă  cette ligne mystĂ©rieuse le chemin de l’ñme du danseur » [67]. 27Ainsi la notion esthĂ©tique de grĂące se trouve-t-elle rattachĂ©e Ă  la question de l’ñme. La dialectique du mĂ©canique et du transcendant, du physique et du spirituel est esquissĂ©e dĂšs le dĂ©but du dialogue Ă  travers l’opposition, dans l’explication du mouvement de la marionnette, entre l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur. Le premier, lieu d’une pluralitĂ© de dĂ©terminations physiques myriades de fils », s’oppose Ă  l’unitĂ© du centre de gravitĂ© » qui situe le mouvement Ă  l’intĂ©rieur de la figure » [68]. L’ñme, Ă©voquĂ©e ici dans son sens premier, comme ce qui produit le mouvement de l’intĂ©rieur elle est appelĂ©e vis motrix », s’oppose aux dĂ©terminations extĂ©rieures. Le mouvement, dĂšs lors, rĂ©vĂšle la prĂ©sence de l’ñme par la grĂące. Par contraste, l’affectation se manifeste lorsque l’ñme se trouve en tout point autre que le centre de gravitĂ© du mouvement » [69]. C’est souvent cette idĂ©e que l’on retient du texte de Kleist ; pourtant, elle lui vient peut-ĂȘtre de Herder, qui avait commentĂ© le groupe de Laokoon en regrettant que l’ñme se trouve en quelque sorte hors de son centre de gravitĂ© » [70]. Au contraire, la grĂące se dĂ©finit chez Kleist comme adĂ©quation avec la nature, plus prĂ©cisĂ©ment comme une rĂ©partition des centres de gravitĂ© qui soit plus conforme Ă  la nature » [71]. 28Dans cette harmonie entre sentiment et forme », Bernhild Boie montre l’attachement de l’esthĂ©tique kleistienne aux critĂšres classiques » [72]. Mais la grĂące s’intĂšgre surtout dans une dĂ©finition qui associe le physique, Ă  travers la notion de centre de gravitĂ©, et le spirituel, en dĂ©signant la prĂ©sence de l’ñme. Les exemples citĂ©s sont significatifs l’ñme peut se situer dans les vertĂšbres des reins » ou encore dans le coude » du danseur [73]. Plus clairement que dans le premier exemple, la synecdoque est significative dans le second, car c’est le geste tendre la pomme qui dĂ©signe toute l’expression du danseur. Le centre de gravitĂ© a alors un sens moral plus que physique. Comme le note Roger Ayrault, la grĂące des marionnettes, loin de ne dĂ©signer qu’ un Ă©tat tout extĂ©rieur », est alors transposĂ©e entiĂšrement en rĂ©alitĂ© morale » [74]. C’est sans doute Ă  tort qu’Albert BĂ©guin voit dans ce passage l’abĂźme qui sĂ©pare Kleist des romantiques » La notion de grĂące donne Ă©videmment Ă  cette philosophie une orientation esthĂ©tique que n’a pas la magie de Novalis » [75]. Ce survol un peu rapide passe sous silence le lien affirmĂ© par la pensĂ©e de l’époque, dĂ©passant le seul romantisme allemand, entre esthĂ©tique et mĂ©taphysique, Ă  travers l’idĂ©e de l’ analogie entre le monde physique et le monde moral », Ă©voquĂ©e par Mme de StaĂ«l qui tĂ©moigne ainsi du rayonnement de la pensĂ©e allemande en France [76]. 29Il est difficile d’identifier ses sources Mme de StaĂ«l avait probablement puisĂ© cette idĂ©e dans l’essai de Schiller Über naive und sentimentalische Dichtung. Mais c’est surtout la philosophie de Schelling qui l’a systĂ©matisĂ©e, et Schelling lui-mĂȘme Ă©voque le systĂšme des monades de Leibniz [77]. L’idĂ©e se retrouve chez Chateaubriand, pour qui les lois physiques et morales de l’univers se tiennent par une chaĂźne admirable » [78], ou encore chez Benjamin Constant, qui Ă©voque la grande correspondance [
] entre tous les ĂȘtres moraux et physiques » [79]. Or, dans cette unitĂ© du monde sensible et du monde moral, c’est Ă  l’art d’établir cette correspondance entre mĂ©taphysique et esthĂ©tique Le poĂšte, dit encore Mme de StaĂ«l, sait rĂ©tablir l’unitĂ© du monde physique et du monde moral ; son imagination forme un lien entre l’un et l’autre. » Notes [1] Sarrasine, Pl., t. VI, p. 1544, var. b de la p. 1043. Cette Ă©pigraphe, apparue dĂšs la publication du texte dans la Revue de Paris en novembre 1830 t. XX, p. 150, disparaĂźt dans l’édition Furne de la nouvelle en 1844. [2] Voir Pierre Brunel, Orientations europĂ©ennes dans Sarrasine », AB 1992, p. 80. [3] Journal, 22 pluviĂŽse an XII. [4] Essai sur les marionnettes, traduit par Flora Klee-Palyi et Fernand Marc. Paris, glm, 1937. Le texte a Ă©tĂ© rééditĂ© en 1947, puis en 1972, sous le titre Les Marionnettes. Les traductions ont fleuri depuis cette date Sur le théùtre de marionnettes. La Mendiante de Locarno. Traduction de Gilbert Socard. 87-Mortemart, Rougerie, 1968 ; Les Marionnettes, traduit de l’allemand par Robert Valançay. Paris, G. Visart, 1969 ; Sur le théùtre de marionnettes, traduit de l’allemand et prĂ©sentĂ© par Roger Munier, Paris, Ă©ditions TraversiĂšre, 1982 ; Sur le théùtre de marionnettes ; De l’élaboration progressive des pensĂ©es dans le discours, Ă©dition bilingue, traduction de Jean-Claude Schneider prĂ©cĂ©dĂ© de L’Art de devenir un Ă©crivain en trois jours, par Ludwig Börne, prĂ©face de HervĂ© Lenormant. Nantes, le Passeur-Cecofop, 1989 ; cette traduction de Schneider a Ă©tĂ© rééditĂ©e en 1991 RezĂ©, SĂ©quences ; Sur le théùtre de marionnettes, traduit de l’allemand par Jacques Outin. Paris, Ă©d. Mille et une nuits, 1993. [5] Il s’agit de la traduction par et J. Cherbuliez, en 3 vol., chez Cherbuliez, de Michel Kohlhaas, La Marquise d’O, Le Tremblement de terre du Chili, La FĂȘte-Dieu ou Le Pouvoir de la musique, et L’Enfant trouvĂ©. ÉditĂ©e en 1830, cette traduction sera rĂ©imprimĂ©e dĂšs 1832. Voir Liselotte Bihl et Karl Epting, Bibliographie französischer Übersetzungen aus dem Deutschen. 1487-1944, Bd. 1, TĂŒbingen, Niemeyer, 1987, p. 202 et 274. [6] Voir Elisabeth Teichmann, La Fortune d’ Hoffmann en France, Paris, Droz, 1961. [7] Castex a montrĂ© de façon convaincante qu’Hoffmann et Scott ont reprĂ©sentĂ© les deux voies françaises du romantisme. Voir Horizons romantiques, Paris, JosĂ© Corti, 1983, notamment p. 31. Leur vogue a ainsi Ă©tĂ© exclusive de toute une sĂ©rie d’Ɠuvres introduisant des modĂšles diffĂ©rents du romantisme. [8] Voir Pierre Brunel, art. cit., p. 78. [9] Ibid., p. 76. [10] Ibid., p. 77. [11] Ibid., p. 78. [12] InterprĂ©tation de Sarrasine », AB 1972, p. 82. [13] P. Brunel, art. cit., p. 81. [14] Sur cette polĂ©mique, voir Edmond Eggli, Schiller et le romantisme français, Paris, J. Gamber, 1927 ; GenĂšve, Slatkine Reprints, 1970, t. I, p. 346-347. C’est en 1805 que Schiller publie sa traduction en vers de la PhĂšdre de Racine sous le titre PhĂ€dra. Trauerspiel von Racine, TĂŒbingen, J. G. Cotta. [15] Bernhild Boie, L’Homme et ses simulacres. Essai sur le romantisme allemand, Paris, JosĂ© Corti, 1979, p. 173 et 174. [16] Ibid., p. 165. [17] Cours de littĂ©rature dramatique, trad. Mme Necker de Saussure 1814, Paris, Slatkine Reprints, 1970, 2 vol., t. II, quatorziĂšme leçon, p. 209-210. Eduard Böcking ed., August Wilhelm Schlegels sĂ€mmtliche Werke, Hildesheim, New York, G. Olms, 1971, t. VI, p. 233 Ihr heftigster Zorn löst sich in eine gutmĂŒtige Neckerey auf, ihre Leidenschaften, von allem irdischen Stoff entkleidet, sind bloß ein idealischer Traum. » [18] Ludwig Tieck, Kritische Schriften, Leipzig, F. A. Brockhaus, 1848, t. I, p. 43 Shakespeare’s Behandlung des Wunderbaren » Der Sturm und der Sommernachtstraum lassen sich vielleicht mit heitern TrĂ€umen vergleichen in dem letztern StĂŒck hat Shakespeare sogar den Zweck, seine Zuschauer gĂ€nzlich in die Empfindung eines TrĂ€umenden einzuwiegen, und ich kenne kein anderes StĂŒck, das, seiner ganzen Anlage nach, diesem Endzweck so sehr entsprĂ€che. » Ce texte, p. 37-74, composĂ© en 1793, n’a Ă©tĂ© publiĂ© qu’en 1796 comme prĂ©face Ă  l’adaptation de La TempĂȘte par Tieck. [19] Sarrasine, Pl., t. VI, p. 1047. [20] Ibid., p. 1045. [21] Ibid., p. 1050. [22] Ibid.. Sur l’opposition entre Zambinella et sa petite-niĂšce Marianina qui reprĂ©sente celle entre la mort et la vie, voir notamment p. 1053 et p. 1548, var. b de cette page C’était bien la mort et la vie, ma pensĂ©e, une arabesque imaginaire, une chimĂšre moitiĂ© hideuse, moitiĂ© suave
 ». La phrase fait Ă©cho Ă  l’allusion aux deux tableaux, la danse des vivants » et la danse des morts », sur laquelle s’ouvre la nouvelle. [23] Sur le théùtre de marionnettes, tr. R. Munier, Ă©d. cit., p. 26 ; einen Begriff des Schönen im Tanz » Ă©d. Helmut Sembner, dans Kleists Aufsatz ĂŒber das Marionettentheater. Studien und Interpretationen, Berlin, Erich Schmidt, 1967, p. 10. [24] Ibid., p. 26 ; pour le texte original, voir l’éd. citĂ©e H. Sembner, p. 10. [25] Jeanne Danos, La PoupĂ©e mythe vivant, Paris, Gonthier, 1966, p. 250. Voir plus gĂ©nĂ©ralement le chapitre intitulĂ© De l’hallucination au rĂȘve nocturne », p. 244-254. [26] Sarrasine, Pl., t. VI, p. 1052. [27] C’est par ces mots que s’achĂšve le texte de Sarrasine dans son Ă©dition originale Romans et contes philosophiques, seconde Ă©d., Gosselin, 1831, t. II, p. 321. Voir Pl., t. VI, p. 1075, et p. 1554 la var. a de la p. 1076. [28] Ibid., p. 1054. Balzac insiste sur l’écart entre le modĂšle et le Beau idĂ©al de l’Ɠuvre le cardinal Cicognara fait exĂ©cuter en marbre la statue de Sarrasine. La famille Lanty la trouve en 1791 au musĂ©e Albani, et prie Girodet, devenu Vien en 1844 seulement dans l’édition Furne, d’en faire un portrait ibid., p. 1075 et var. c. [29] Ibid., p. 286. [30] Voir Annie Becq, EsthĂ©tique et politique sous le Consulat et l’Empire la notion de Beau idĂ©al », Romantisme, n° 51, premier trimestre 1986, p. ligne [31] Archives littĂ©raires de l’Europe, t. VI et VII, 1805. [32] Annie Becq, art. cit., p. 24. Voici par ailleurs comment QuatremĂšre de Quincy dĂ©finit sa conception d’un Beau idĂ©al Selon le sens particulier que la thĂ©orie des beaux-arts donne au mot idĂ©al, ce mot est l’expression superlative de ce qui nous semble, non pas hors de la nature, mais supĂ©rieur en qualitĂ© Ă  ce que la nature nous montre le plus ordinairement, et partiellement considĂ©rĂ© dans ses Ɠuvres » Essai sur l’idĂ©al dans ses applications pratiques aux Ɠuvres de l’imitation propre des arts du dessin, Paris, Librairie d’Adrien Le Clere et Cie, 1937, p. 3. [33] N. Ponce, Dissertation sur le Beau idĂ©al considĂ©rĂ© sous le rapport des arts de dessin, 1806, lue Ă  l’Institut le 26 avril et publiĂ©e dans le Moniteur universel le 26 juillet, puis dans les Nouvelles des arts t. V ; et Chaussard, dans son compte rendu du Salon de 1806, publiĂ© sous le titre de Pausanias français. [34] Dans son mĂ©moire Recherches sur l’art statuaire considĂ©rĂ© chez les Anciens et les Modernes, publiĂ© en 1805, aprĂšs qu’il eut gagnĂ© le prix d’un concours ouvert en 1801 par l’Institut sur le sujet Quelles ont Ă©tĂ© les causes de la perfection de la sculpture antique et quels seraient les moyens d’y atteindre ? » [35] Sur l’idĂ©al dans les arts du dessin, op. cit., p. 110. Voir Annie Becq, art. cit., p. 26. [36] Discours sur les caractĂšres du beau et du sublime dans les arts d’imitation, prononcĂ© en 1810 devant l’AcadĂ©mie de Marseille. [37] Voyez la nature, Ă©piez ses beautĂ©s, surprenez-en la finesse, atteignez-en la grĂące, mais n’imaginez pas qu’il puisse exister quelque chose de plus beau qu’elle », dĂ©clare-t-il en 1801 dans L’AnnĂ©e littĂ©raire. [38] De l’Allemagne 1813, troisiĂšme partie, chapitre IX, Influence de la nouvelle philosophie allemande sur la littĂ©rature et les arts », Paris, Garnier-Flammarion, 1968, t. II, p. 161-162. [39] Recherches sur les lois et la nature de l’imagination, GenĂšve, Paschoud, 1807, p. 329. [40] Toussaint-Bernard Emeric-David, Recherches sur l’art statuaire considĂ©rĂ© chez les Anciens et les Modernes, Paris, 1805, p. 29. [41] Cabanis, Lettre Ă  Thurot sur les poĂšmes d’HomĂšre, dans ƒuvres complĂštes, 1823-1825, t. V, p. 310-311. Voir Annie Becq, art. cit., p. 35. [42] Sismondi, De la littĂ©rature du Midi de l’Europe, Paris, Treuttel et WĂŒrtz, 1813, t. II, p. 158-159. [43] Friedrich Schlegel, 1794-1802 ; seine prosaische Jugendschriften, Ă©d. J. Minor, Wien, Verlagsbuchhandlung C. Konegen, 1906, 2 vol. in 1, t. II, p. 186. [44] Ibid., p. 244 Goethes rein poetische Poesie ist die vollstĂ€ndigste Poesie der Poesie. » [45] Ibid., Kritische Fragmente, n° 117 Poesie kann nur durch Poesie kritisiert werden. » [46] Sarrasine, Pl., t. VI, p. 1061. [47] Sur le théùtre de marionettes, op. cit., p. 46 ; streifen, und den Schwung der Gleider [
] neu zu beleben », ruhen, und uns von der Anstrengung des Tanzes zu erholen ein Moment, der offenbar selber kein Tanz ist » Ă©d. H. Sembner, p. 12. [48] Simone Weil, La Pesanteur et la grĂące, Paris, Plon, 1988 1947, p. 7. [49] Sarrasine, Pl., t. VI, p. 1062. [50] Ibid., p. 1072-1073. [51] Ibid., p. 1070. Avant l’édition BĂ©chet des Études de mƓurs au xixe siĂšcle 1835, oĂč Sarrasine figure au t. XII, dans le quatriĂšme volume des ScĂšnes de la vie parisienne, la derniĂšre phrase citĂ©e s’achevait avec les mots vous ne me verrez plus » voir ibid. p. 1552, la var. c de la p. 1070. [52] Ibid., p. 1074. [53] Ibid., p. 1073. [54] Ibid., p. 1075. Rappelons voir ci-dessus la note 24 que jusqu’en l’édition Furne, l’auteur du portrait commandĂ© par la famille Lanty Ă©tait Girodet lui-mĂȘme, qui s’en serait donc directement servi pour son Endymion. [55] Ibid., p. 1047. [56] Ibid. [57] Ibid., p. 1046. [58] Sur le théùtre de marionnettes, Ă©d. cit., p. 20-21 Dagegen wĂ€re diese Linie wieder, von einer andern Seite, etwas sehr Geheimnisvolles. Denn sie wĂ€re nichts anders, als der Weg der Seele des TĂ€nzers » Ă©d. H. Sembner, p. 10. [59] Ibid., p. 24 Er setzte hinzu [
], daß oft, auf eine bloße zufĂ€llige Weise erschĂŒttert, das Ganze schon in eine Art von rhythmische Bewegung kĂ€me, die dem Tanz Ă€hnlich wĂ€re. » Ă©d. H. Sembner, p. 9-10. [60] Sarrasine, Pl. t. VI, p. 1553, var. h de la p. 1075. [61] Voir Sur le théùtre de marionnettes, Ă©d. cit., p. 32 ; Etwa wie Zahlen zu ihren Logarithmen oder die Asymptote zur Hyperbel » Ă©d. H. Sembner, p. 10. [62] Ibid., p. 32 ; daß ihr Tanz [
] vermittelst einer Kurbel, so wie ich es mir gedacht, hervorgebracht werden könne. » Ă©d. H. Sembner, p. 10. [63] Ibid., p. 44 ; Zudem [
] haben diese Puppen den Vortheil, daß sie antigrav sind » Ă©d. H. Sembner, p. 12. [64] Bien sĂ»r, on peut Ă©galement expliquer cette dimension spirituelle de la marionnette par l’action du marionnettiste, prĂ©sence supĂ©rieure, de nature divine, qui abolit les contingences du monde physique. La marionnette serait alors l’incarnation d’un caldĂ©ronisme revisitĂ© par le romantisme allemand. [65] Sur le théùtre de marionnettes, Ă©d. cit., p 55 ; Eine unsichtbare und unbegreifliche Gewalt schien sich, wie ein eisernes Netz, um das freie Spiel seiner GebĂ€hrden zu legen » Ă©d. H. Sembner, p. 14. [66] Ibid., p. 24 ; in einer graden Linie », Courven » Ă©d. H. Sembner, p. 9. [67] Ibid., p. 30 ; Dagegen wĂ€re diese Linie [
] etwas sehr Geheimnisvolles », der Weg der Seele des TĂ€nzers » Ă©d. H. Sembner, p. 10. [68] Ibid., p. 23 ; ohne Myriaden von FĂ€den an den Fingern zu haben », Jede Bewegung [
] hĂ€tte einen Schwerpunct », in dem Innern der Figur » Ă©d. H. Sembner, p. 9. [69] Ibid., p. 38 ; Wenn sich die Seele vis motrix in irgend einem andern Puncte befindet, als in dem Schwerpunct der Bewegung » Ă©d. H. Sembner, p. 11-12. [70] Herder, Herders SĂ€mtliche Werke, hrsg. v. Bernhard Suphan, t. VIII, Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1892, p. 106 Bemerkungen bei Winkelmann’s Gedanken ĂŒber die Nachahmung der griechischen Werke » Zu viel Handlung die Seele ist wie außer ihrem Schwerpunkt sie stĂŒtzt sich, wie der SeiltĂ€nzer, auf einen zu seinem Punkt, als daß er natĂŒrlich, faßlich, annehmlich sei. » [71] Sur le théùtre de marionnettes, Ă©d. cit., p. 37-38 ; eine naturgemĂ€ĂŸere Anordnung der Schwerpuncte » Ă©d. H. Sembner, p. 11. [72] Bernhild Boie, L’Homme et ses simulacres, op. cit., p. 168-169. [73] Sur le théùtre de marionnettes, Ă©d. cit., p. 41 et p. 43 ; In den Wirbeln des Kreuzes », die Seele sitzt ihm gar [
] im Ellenbogen » Ă©d. H. Sembner, p. 12 [74] Op. cit., p. 337. [75] L’Âme romantique et le rĂȘve, op. cit., p. 319. [76] De l’Allemagne, op. cit., t. II, p. 121. [77] Les implications esthĂ©tiques de cette reprĂ©sentation du monde sont le sujet de la seconde partie de la Critique du jugement de Kant. Par ailleurs, Auguste Viatte montre la signification mĂ©taphysique et esthĂ©tique de ces correspondances chez Saint-Martin, philosophe tourangeau qui constitue comme on sait une rĂ©fĂ©rence de Balzac, pour qui tout est symbole » Les Sources occultes du romantisme, II – La gĂ©nĂ©ration de l’Empire, Paris, Champion, 1979, 2 vol., t. I, p. 276. [78] GĂ©nie du christianisme 1802, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, 2 vol., t. I, p. 190. [79] RĂ©flexions sur la tragĂ©die de Wallstein et sur le théùtre allemand », dans Wallstein, Ă©dition critique de Jean-RenĂ© DerrĂ©, Paris, Les Belles Lettres », 1965, p. 63. L'art reprĂ©sente un domaine de l'activitĂ© humaine liĂ© Ă  la fabrication, qui prend des formes historiques diverses. Au sens large, c'est tout ce que l'homme ajoute Ă  la nature. Faut-il opposer art et nature ou les voir comme complĂ©mentaires ? I L'art imite ou suit la nature L'art doit imiter la nature. C'est ce qu'affirme Aristote Nous prenons plaisir Ă  contempler les images les plus exactes des choses dont la vue nous est pĂ©nible dans la rĂ©alitĂ©, comme les formes d'animaux les plus mĂ©prisĂ©s et des cadavres » PoĂ©tique. L'imitation mimĂȘsis en grec d'une rĂ©alitĂ©, mĂȘme repoussante ou effrayante, apporte un plaisir Ă  l'esprit humain. C'est la fonction de l'art figuratif, qui s'efforce de donner l'illusion du rĂ©el. Dans l'AntiquitĂ©, le peintre Zeuxis imitait si parfaitement les raisins peints sur les murs que les oiseaux, dit-on, venaient se casser le bec sur sa peinture. Platon condamne cet art de l'illusion si l'art produit de belles apparences trompeuses, il est moralement condamnable et les artistes doivent ĂȘtre chassĂ©s de la citĂ©, car ces poĂštes ne crĂ©ent que des fantĂŽmes et non des choses rĂ©elles. » Dans la Critique de la facultĂ© de juger, Kant voit la nature comme la source de l'art La nature donne ses rĂšgles Ă  l'art. » Pour lui, l'artiste est un interprĂšte ou un porte-parole de la nature. II L'art est une crĂ©ation de l'esprit Voir en la nature sa seule source, n'est-ce pas rĂ©duire l'art Ă  un jeu stĂ©rile et Ă  une pure virtuositĂ© technique ? L'art, par l'intermĂ©diaire de la main et des outils, est une crĂ©ation de l'esprit qui transforme notre perception du rĂ©el et nous Ă©lĂšve Ă  une rĂ©alitĂ© proprement spirituelle. 1 L'art est dans la forme À noter Le grec dispose de deux termes que nous traduisons par art » la technĂš, qui a donnĂ© technique », dĂ©signe la production ou la fabrication Ă  partir de matĂ©riaux ; la poĂŻesis, qui a donnĂ© poĂ©sie », dĂ©signe la crĂ©ation de quelque chose de nouveau. Pour Platon, l'art ne doit pas reprĂ©senter la rĂ©alitĂ© telle qu'elle est, mais l'idĂ©aliser pour Ă©lever l'Ăąme vers la contemplation des IdĂ©es. Il a un rĂŽle d'Ă©ducation de l'Ăąme, qui doit s'Ă©lever des apparences sensibles aux IdĂ©es intellectuelles. Le beau prĂ©figure le vrai. Plotin, disciple de Platon, insiste sur la forme qui idĂ©alise la matiĂšre sensible Il est clair que la pierre, en qui l'art a fait entrer la beautĂ© d'une forme, est belle non parce qu'elle est pierre [
], mais grĂące Ă  la forme que l'art y a introduite. » La valeur de l'art est dans la belle forme, quel que soit l'objet reprĂ©sentĂ©. Ainsi, Rembrandt peint une carcasse de bƓuf Ă©corchĂ© et Goya des grotesques » hideux. Ce qui fait dire Ă  Kant que la beautĂ© artistique est une belle reprĂ©sentation d'une chose. » Le beau est donc dans la forme de la reprĂ©sentation, et non dans la chose elle-mĂȘme. 2 L'art est une production libre de l'esprit Cette importance de la forme libre, indĂ©pendamment de l'objet, fait voir dans l'art une production libre, par opposition Ă  la production nĂ©cessaire et mĂ©canique de la nature et de la technique En droit, on ne devrait appeler art que la production par la libertĂ© » Kant, Critique de la facultĂ© de juger. Hegel insiste sur l'histoire de l'art comme progrĂšs de l'esprit vers des formes d'expression de plus en plus immatĂ©rielle, des pyramides Ă  la musique et la poĂ©sie. Toute Ɠuvre de l'esprit, soutient cet auteur, mĂȘme l'invention du clou, est infiniment supĂ©rieure Ă  la plus habile imitation de la nature. Notre regard sur la nature est imprĂ©gnĂ© par l'art, au point que Hegel ou Oscar Wilde affirment que c'est la nature qui imite l'art quand on admire le chant du rossignol, c'est qu'il nous semble exprimer des sentiments humains. Ce qui dans l’art alerte la vigilance du philosophe, c’est le pouvoir qu’il a de confĂ©rer aux apparences une telle prĂ©sence quelles puissent se confondre avec les choses mĂȘmes, d’abolir la diffĂ©rence de l’ĂȘtre et du paraĂźtre. S’il faut condamner l’art, c’est d’abord d’un point de vue mĂ©taphysique, dans l’exacte mesure oĂč il serait gĂ©nĂ©rateur d’illusion, oĂč il nous ferait prendre pour la rĂ©alitĂ© ce qui n’en est que l’ en ce sens qu’il faut comprendre la critique faite par Platon d’une partie de l’art comme mimĂȘsis, imitation. Platon s’élĂšve contre la tendance illusionniste » de l’art de son temps, c’est- a dire contre ces artistes qui n’ont d’autre projet, en imitant la nature, que de produire des Ɠuvres qui fassent illusion», qui soient une image fidĂšle des apparences phĂ©nomĂ©nales. Telle la chose paraĂźt dans la rĂ©alitĂ©, telle elle doit paraĂźtre dans l’art, la copie devant avoir la mĂȘme allure que le anecdote fameuse nous permet d’éclairer ce point deux sculpteurs, Phidias et AlcamĂšne devaient rĂ©aliser chacun une statue de la dĂ©esse AthĂ©na destinĂ©e Ă  ĂȘtreplacĂ©e dans le ParthĂ©non au sommet de deux hautes colonnes. Calculant l’effet optique provoquĂ© par la localisation de la statue, Phidias grossit fortement les traits du visage de la dĂ©esse. Quand les AthĂ©niens virent la statue, ils crurent au sacrilĂšge et menacĂšrent Phidias de lapidation. Mais dĂšs qu’elle fut mise en place, son gĂ©nie devint Ă©vident et c’est AlcamĂšne qui fut ridiculisĂ©. De telles corrections optiques sont constantes dans l’art grec du temps. Pensons, par exemple, aux solutions retenues par Ictinos pour l’édification du ParthĂ©non lui-mĂȘme la courbure du stylobate et de l’épistyle corrigeant la dĂ©formation otique due Ă  la perspective. Elles tĂ©moignent du souci de l’apparence pour le spectateur. Phidias avait, fait une Ă©tude singuliĂšre de tout ce qui avait l’apport Ă  son talent, et en particulier l’étude de l’optique. On sait combien cette connaissance lui fut utile dans la statue de Minerve, qu’il fut chargĂ© de faire, concurremment avec AlcamĂšne; la statue par AlcamĂšne vue de prĂšs, avait un beau fini qui gagna tous les suffrages, tandis que celle de Phidias ne paraissait en quelque sorte qu’ébauchĂ©e ; mais le travail recherchĂ© d’AlcamĂšne disparu, lorsque la statue fut Ă©levĂ©e au lieu de sa destination ; celle de Phidias, au contraire frappa les spectateurs par un air de grandeur et de majestĂ©, qu’on ne pouvait se lasser d’admirer. »Dans un texte fameux du Sophiste, Platon 235d-236c distingue deux types de mimesis L’art de la copie il emprunte au modĂšle ses rapports exacts de longueur, largeur et profondeur. C’est l’imitation de l’ĂȘtre en du simulacre on y sacrifie les proportions exactes du modĂšle au profit des proportions qui feront illusion. C’est l’imitation de l’ distinction est capitale. Il faut ici rappeler que les Grecs ne distinguent pas comme nous entre les techniques et les beaux- arts, ni mĂȘme comme au Moyen Age entre arts mĂ©caniques » et arts libĂ©raux ». L’homme de l’art technĂš, est pour eux davantage artisan qu’artiste au sens oĂč nous l’entendons. En revanche, Platon distingue entre les hommes de l’art, ceux qui pratiquent l’art du simulacre et ceux qui pratiquent l’art de la copie, et c’est en ce sens qu’il envient Ă  condamner les artistes de son temps, architectes, sculpteurs ou peintres. L’artiste, un fauteur d’illusion donc de troubleSi Platon condamne la mimĂȘsis comprise comme art du simulacre, il loue au contraire ceux qui respectent l’ĂȘtre du modĂšle, qui le reprĂ©sentent tel qu’il est en soi, car, alors, la copie ne fait pas illusion mais apparaĂźt pour ce qu’elle est, c’est-Ă -dire une copie. Il condamne ceux qui acceptent dans l’art la scission de l’ĂȘtre et de l’apparaĂźtre et font tout pour que leur copie ait la mĂȘme apparence que le modĂšle, ce en quoi elle n’est plus une copie mais un simulacre fauteur d’illusion. Pour Platon, les peintres, au contraire des artisans, sont de tels illusionnistes. Qui sont ces peintres auxquels pense Platon ? Pour l’essentiel des dĂ©corateurs de théùtre, passĂ©s maĂźtres dans l’art du trompe-l’oeil, tels Apollodore ou le cĂ©lĂšbre Zeuxis qui, selon Pline-, avait peint sur un dĂ©cor de scĂšne des raisins si convaincants que les oiseaux essayaient de les picorer. Dans un passage fameux du livre X de la RĂ©publique, Platon nous invite Ă  distinguer entre trois lits diffĂ©rents. L’idĂ©e de lit, le lit sensible que construit le menuisier et l’image de lit qui est l’Ɠuvre du peintre. Quand il construit le lit dans lequel nous dormons, le menuisier se rĂšgle sur le modĂšle intelligible de lit qui est le lit vĂ©ritablement rĂ©el. Quant au peintre, la question se pose justement de savoir s’il imite le lit rĂ©el ou le lit du menuisier qui est dĂ©jĂ  une imitation du lit rĂ©el. Maintenant, considĂšre ce point ; lequel des deux buts sepropose la peinture relativement Ă  chaque objet est-ce de reprĂ©senter ce qui est tel qu’il est, ou ce qui paraĂźt tel qu il paraĂźt ? Est-ce l’imitation de l’apparence ou de la rĂ©alitĂ© ?
 »Le peintre imite donc l’imitation de l’artisan et non le lit intelligible. Un lit vu de face paraĂźt diffĂ©rent d’un lit vu de biais, ou de trois quarts il n’en est rien, car le lit est le mĂȘme ; mais le peintre n’en a cure ; il n’imite pas l’ĂȘtre vĂ©ritable, tel qu’il est, mais l’apparence qu’il prĂ©sente ; en d’autres termes, il n’exprime pas l’idĂ©e, mais l’idole des choses. Il n’est pas, Ă  proprement parler un poĂšte, un crĂ©ateur, comme l’artisan qui fabrique le lit en s’inspirant de 1 essence du lit, du lit-type, créé par Dieu ; s’il peint une bride ou un mors, il n’a mĂȘme pas la compĂ©tence du sellier ou du forgeron, elle-mĂȘme infĂ©rieure Ă  celle du cavalier », Ă©crit justement Pierre- Maxime Schuhl33. En imitant ce qui paraĂźt tel qu’il paraĂźt, la peinture est donc Ă©loignĂ©e au troisiĂšme degrĂ© de la Platon condamne-t- il un art qui imite ce qui paraĂźt tel qu’il paraĂźt, qui se rĂšgle sur l’apparence du modĂšle et non sur ce qu’il est en soi. Le monde sensible est une apparence, non seulement parce qu’il paraĂźt, mais encore en ce qu’il est un faux- semblant, un trompe-l’Ɠil, que l’on prend volontiers, comme les prisonniers de la caverne, pour le monde rĂ©el. L’art, quant Ă  lui, propose un simulacre du visible, il reprĂ©sente l’apparence de l’apparence, redouble les apparences dĂ©jĂ  trompeuses du monde sensible, et c’est pourquoi il est tout Ă  la fois inutile et dangereux. La consĂ©quence s’impose d’elle-mĂȘme dans la citĂ© idĂ©ale dont Platon dresse le modĂšle, les artistes n’ont pas leur place. Art d’illusion contre art d’allusionComprenons bien dĂšs lors qu’un art qui se rĂ©glerait non plus sur l’apparence mais sur la rĂ©alitĂ© elle-mĂȘme aurait les faveurs de Platon, surtout s’il ne tente pas de se faire passer pour la rĂ©alitĂ© qu’il figure. Ainsi pourrait-on opposer Ă  un art de l’illusion un art de l’allusion, de l’allusion Ă  l’idĂ©e. Sans doute est-ce ainsi qu’il faut comprendre l’opposition faite par Platon entre l’art relativiste de son temps et l’art Ă©gyptien qui construit ses Ɠuvres selon les mĂȘmes modĂšles idĂ©aux depuis des milliers d’annĂ©es. C’est dans les Lois que Platon vante les formes hiĂ©ratiques et fixĂ©es de la peinture Ă©gyptienne les schemata Il n’était pas permis aux peintres ni Ă  aucun de ceux qui reprĂ©sentent des attitudes ou quoi que ce soit, d’innover et d’imaginer rien qui diffĂ©rĂąt de ce qui avait Ă©tĂ© fixĂ© par la tradition ; aujourd’hui encore cela reste interdit en ces matiĂšres comme dans l’ensemble du domaine des Muses. »Un tel schĂ©matisme n’est pas seulement pictural mais moral les modĂšles fixĂ©s une fois pour toutes ont, pour la jeunesse, valeur Ă©ducative. Tout se passe comme si le traditionalisme de la peinture Ă©gyptienne livrait Ă  Platon un message d’idĂ©alisme. Du reste, pour les Grecs, l’esthĂ©tique de la mimĂȘsis n’implique pas copie servile de la nature. Elle invite, au contraire, Ă  idĂ©aliser » les modĂšles, Ă  en corriger les dĂ©fauts. Or, non seulement Platon ne condamne pas un tel idĂ©alisme esthĂ©tique, mais il s’en sert au contraire pour justifier l’élaboration d’une image idĂ©ale de l’État, ce qui est la grande affaire de sa philosophie Or donc, penses-tu que l’habiletĂ© d’un peintre se trouve diminuĂ©e si, aprĂšs avoir peint le plus beau modĂšle d’homme qui soit, et donnĂ© Ă  sa peinture tous les traits qui conviennent, il est incapable de dĂ©montrer qu’un tel homme puisse exister ?Non, Par Zeus, je ne le pense pas. Mais nous-mĂȘmes qu’avons-nous fait dans cet entretien, sinon tracer le modĂšle d’une bonne CitĂ© ? Rien d’autre» Vers un art idĂ©alisteLa condamnation de l’art par Platon n’est donc pas si absolue qu’il y paraĂźt au premier abord. Il est sans doute plus conforme Ă  la rĂ©alitĂ© de penser qu’il y a, pour Platon, les bons et les mauvais artistes. A un art qui reprĂ©sente les apparences sensibles, il oppose un art idĂ©aliste » qui figure les rĂ©alitĂ©s spirituelles douĂ©es d’une forme d’existence supĂ©rieure Ă  celle des choses de ce monde. Cette distinction suggĂšre que l’art ne pourrait trouver grĂące aux yeux de la philosophie qu’à ĂȘtre une idĂ©alisation de la nature ou une manifestation sensible d’un idĂ©al d’ordre spirituel. L’art reprĂ©sente ainsi l’union du sensible et du spirituel. Cette idĂ©e, qu’elle soit comprise comme une raison de cĂ©lĂ©brer l’art ou le motif d’y dĂ©noncer le comble de la vanitĂ©, traverse toute la philosophie de l’art jusqu’à son explicitation dans l’EsthĂ©tique de Hegel. Jaime bien de temps en temps proposer des activitĂ©s d’illusion d’optique Ă  mes grands Ă©lĂšves pour plusieurs raisons ; tout d’abord, d’un point de vue bassement technique, ça ne demande souvent que feutres et crayons de couleur ce qui, il faut l’avouer, est bien pratique. Mais c’est Ă©galement une maniĂšre de rĂ©flĂ©chir sur la perception et le dessin, la maniĂšre dont on voit les choses qui nous entourent, la gĂ©omĂ©trie, les lignes et les formes, la science du cerveau etc. C’est un sujet trĂšs riche en exploitations je trouve et qui en plus donne de supers rĂ©sultats qui impressionnent toujours les enfants, c’est l’essentiel p Je me suis donc inspirĂ©e de travaux du site d’Art Sonia pour rĂ©aliser ces boules sur une nappe quadrillĂ©e, ou boules Ă  facette disco selon mes Ă©lĂšves, voici les Ă©tapes Ă  suivre 1. RĂ©aliser un quadrillage sur une feuille A4 en essayant d’appuyer le moins possible avec le crayon de papier. De mĂ©moire il me semble leur avoir dit de faire des carrĂ©s de 3 cm de cĂŽtĂ©. 2. Avec son compas, tracer des ronds 3 entiers maximum pour ne pas surcharger ; leur proposer des orientations diffĂ©rentes, on peut les superposer, les coller, les Ă©loigner, les faire entier ou les sortir du cadre etc. pour varier les productions. 3. LĂ  c’est la partie la plus technique » du dessin, rĂ©aliser le quadrillage Ă  l’intĂ©rieur des boules leur faire comprendre que les traits ne doivent pas ĂȘtre horizontaux ou verticaux mais suivre le contour haut, bas, droit ou gauche de maniĂšre plus ou moins inclinĂ©e. Ne pas hĂ©siter Ă  leur faire essayer sur l’ardoise ou au tableau pour qu’ils comprennent, ou bien leur faire observer les parallĂšles et mĂ©ridiens sur un globe si vous en avez un dans la classe. 4. Choisir une couleur de feutre et colorier comme un damier en alternant les cases blanches et les cases colorĂ©es. Faire d’abord tout le quadrillage de la nappe et s’occuper des boules aprĂšs. 5. Enfin, pour que l’effet de volume apparaisse, il va falloir faire l’ombre des boules. Prendre un fusain ou un pastel noir sec et faire un contour pas trop Ă©pais. Puis, avec le petit doigt, estomper vers l’extĂ©rieur et ensuite faire juste une lĂ©gĂšre ombre Ă  l’intĂ©rieur en dessinant un cercle au bord de la boule avec son doigt qui normalement devrait ĂȘtre tout noir de fusain p Exemples de travaux rĂ©alisĂ©s par les Ă©lĂšves. Pourquoi parler d’illusion fiscale ? Lorsqu’un individu dĂ©finit un phĂ©nomĂšne comme une illusion c’est qu’il perçoit ce phĂ©nomĂšne autrement que la plupart des individus auxquels il s’adresse, sinon il ne parlerait pas d’illusion mais de rĂ©alitĂ©. Le terme de fiscal, quant Ă  lui, ne se conçoit qu’en rĂ©fĂ©rence Ă  l’État, car lui seul prĂ©lĂšve obligatoirement, si nĂ©cessaire en faisant usage de la coercition physique. C’est pourquoi le concept d’illusion fiscale devrait ĂȘtre au cƓur de l’enseignement Ă©conomique, le rĂŽle principal de l’économiste Ă©tant justement de dĂ©masquer les illusions. Nous nous proposons ici – entre autres choses – de dĂ©crire les mĂ©canismes crĂ©ateurs d’illusions, mais il est nĂ©cessaire auparavant de revenir sur la façon dont on perçoit l’ l’illusion fiscale provient en premier lieu d’une dĂ©finition erronĂ©e ou fallacieuse de l’État. Chez une majoritĂ© d’économistes qui entretient une vision angĂ©lique de l’État, les interventions publiques sont habituellement justifiĂ©es par l’existence de prĂ©tendues dĂ©faillances du marchĂ© » Des crises conjoncturelles qu’il faudrait attĂ©nuer on parle alors de la fonction de stabilisation » de l’ distribution des revenus primaires inĂ©galitaire qu’il faut corriger » ; c’est la fonction dite de redistribution » de l’ externalitĂ©s non prises en compte par les agents Ă©conomiques la pollution et autres biens publics », dont la production par les mĂ©canismes de marchĂ© serait sous-optimale » on trouve encore dans des vieux manuels d’économie politique l’exemple des Ă©missions de radio et de tĂ©lĂ©vision. Des biens dits _tutĂ©laires » respectivement nocifs dont la consommation est interdite – drogue ou au contraire bons dont la consommation est obligatoire – Ă©ducation on parle alors de la fonction d’allocation de l’État ». Mais ces explications invoquĂ©es pour dĂ©finir ces biens publics » ignorent la nature mĂȘme du bien Ă©conomique elles reviennent toutes Ă  dire que l’État » saurait mieux que nous ce que nous voulons rĂ©ellement. Or, la vĂ©ritĂ© est qu’il ne le sait pas car la seule maniĂšre de le savoir consisterait Ă  observer comment nous agissons volontairement. La notion de bien est par essence individuelle seul un individu est capable de choisir et seul l’individu classe ses satisfactions sur une Ă©chelle de valeur qui lui est propre. Il n’existe pas d’échelle de valeur collective. D’ailleurs, si la notion de bien collectif Ă©tait dĂ©finissable pourquoi forcer des individus qui ne le souhaitent pas Ă  consommer et Ă  financer de tels biens » ? La seule possibilitĂ© pour une personne de se servir du bien d’autrui pour amĂ©liorer sa satisfaction tout en respectant la propriĂ©tĂ© d’autrui est de passer par l’échange sur un marchĂ© libre. En supprimant le marchĂ© par l’instauration d’un monopole rĂ©glementaire ou d’un impĂŽt, l’État supprime du mĂȘme coup le mĂ©canisme de rĂ©vĂ©lation des prĂ©fĂ©rences ainsi que le mode de financement souhaitĂ© par les individus. C’est ainsi que l’État, curieusement, gĂ©nĂšre des externalitĂ©s » alors mĂȘme qu’il prĂ©tendait y apporter un remĂšde par son intervention. Il paraĂźt donc indispensable de garder en tĂȘte ces Ă©lĂ©ments qui nous indiquent Ă  quel niveau l’illusion fiscale prend sa source. Tout l’art de l’illusion fiscale va dĂšs lors consister Ă  faire croire aux individus que l’usage potentiel de la violence par les hommes d’État produit des rĂ©sultats meilleurs que ceux de l’échange libre et consenti, et Ă  empĂȘcher les victimes de la coercition Ă©tatique de se soustraire ou d’échapper Ă  la contrainte. Une premiĂšre illusion idĂ©ologique le contrat social Pour dĂ©blayer le terrain sur lequel nous allons construire notre analyse, notons encore que le contrat social », qui serait le fondement de nos sociĂ©tĂ©s modernes, porte mal son nom puisqu’il ne saurait ĂȘtre assimilĂ© Ă  un contrat. Un contrat est toujours un Ă©change consenti de deux biens ou services prĂ©sents ou futurs entre deux individus. A l’opposĂ©, les citoyens au nom desquels les gouvernants s’expriment ne se font pas connaĂźtre individuellement et n’assument pas personnellement la responsabilitĂ© de leurs actes. Au contraire, ils dĂ©signent en secret certains d’entre eux pour user de la contrainte publique en leur nom, tandis qu’eux-mĂȘmes restent cachĂ©s. On ne peut consentir Ă  un contrat avec de parfaits inconnus, pas plus qu’on ne peut donner le nom de contrat social Ă  l’obĂ©issance des citoyens Ă  un groupe d’hommes armĂ©s appelĂ© gouvernement. Cette notion de contrat social est une pure abstraction. Le dĂ©bat sur l’illusion monĂ©taire la forme la plus complexe de l’illusion fiscale Avant d’aborder l’objet de notre propos – l’illusion fiscale Ă  proprement parler – il n’est pas inutile non plus de se reporter Ă  celui, plus connu, d’illusion monĂ©taire. Ce concept a Ă©tĂ© identifiĂ© au moins depuis Adam Smith 1776. Nous sommes victimes de l’illusion monĂ©taire Ă  chaque fois que nous partons du principe qu’un accroissement du montant de monnaie en notre possession se traduit nĂ©cessairement par un accroissement de notre pouvoir d’ grand nombre d’individus ont Ă©tĂ© victimes de cette illusion depuis que les gouvernements sont parvenus Ă  monopoliser l’émission de monnaie, oubliant que la seule vraie richesse est celle que l’on produit et consomme alimentation, habillement, logement, moyens de transports et de communication. GrĂące Ă  ce monopole d’émission, les gouvernementspeuvent, Ă  travers l’inflation qui a pour origine principale la politique monĂ©taire expansionniste de la Banque centrale, prĂ©lever une portion du pouvoir d’achat des individus sans leur peut pour cette raison ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un impĂŽt et donc ĂȘtre elle aussi l’occasion d’une forme d’illusion fiscale. Ainsi que le souligne Pascal Salin dans L’arbitraire fiscal 
 la monnaie est un pouvoir d’achat indiffĂ©renciĂ© », c’est-Ă -dire qu’elle rend d’autant plus de services qu’elle est plus apte Ă  permettre Ă  ses dĂ©tenteurs de se procurer un certain pouvoir d’achat en tout temps, en tout lieu, et sous forme de n’importe quel bien.[
] Cette monnaie est d’autant plus apte Ă  remplir ce rĂŽle qu’elle permet de maintenir stable ce pouvoir d’achat [
] Or l’inflation reprĂ©sente une dĂ©tĂ©rioration de ce rĂŽle puisqu’elle se dĂ©finit comme l’augmentation du prix des marchandises en termes de monnaie [
] Les politiques d’inflation sont donc la nĂ©gation mĂȘme du rĂŽle de la monnaie puisque celle-ci est utile dans la mesure seulement oĂč elle constitue un pouvoir d’achat en attente et puisque l’inflation diminue le pouvoir d’achat des encaisses monĂ©taires existantes. C’est pourquoi toutes les pseudo-thĂ©ories et toutes les pratiques qui considĂšrent les politiques d’inflation avec indulgence ou la recommandent mĂȘme comme stimulant nĂ©cessaire Ă  l’activitĂ© Ă©conomique sont Ă  rejeter sans examen [
]. L’inflation impose donc un transfert de ressources des utilisateurs de monnaie vers ses producteurs. C’est ce transfert qui constitue l’impĂŽt d’inflation[1]. » Lorsque les hommes politiques essayent, soi-disant, de lutter contre l’inflation, ils se gardent bien de prĂ©senter celle-ci comme un impĂŽt et prĂ©fĂšrent rejeter la faute sur les coĂ»ts » qui augmentent le prix de certains biens comme le choc pĂ©trolier 
 Mais la rĂ©alitĂ© est que l’inflation est le plus souvent la rĂ©sultante de la crĂ©ation de faux droits monĂ©taires » ; crĂ©ation qui conduit Ă  une succession de krachs boursiers avec leurs effets collatĂ©raux dĂ©pressions, rĂ©cessions. De tels Ă©pisodes apparaissent de façon rĂ©currente depuis que les hommes de l’État ont monopolisĂ© la crĂ©ation monĂ©taire. Que nos gouvernements persistent aujourd’hui encore Ă  y recourir prouve, si cela Ă©tait encore nĂ©cessaire, l’ampleur de l’illusion monĂ©taire » mais aussi la mesure de l’illusion fiscale qu’y si attache. L’origine du concept d’illusion fiscale Au 19Ăšme siĂšcle, David Ricardo pose la base de ce que nous dĂ©nommons illusion fiscale Ă  l’occasion d’une comparaison entre le financement par l’endettement public et par l’impĂŽt. Plus prĂ©cisĂ©ment, Ricardo prĂ©sente son argument au chapitre 17 de ses Principles of Political Economy and Taxation[2], paru en 1821. Reprenons l’exemple qu’il utilise en l’actualisant le gouvernement dĂ©cide d’une rĂ©duction de 50% des impĂŽts pour cette annĂ©e. Un mĂ©nage qui payait jusque-lĂ  3000 euros d’impĂŽts se retrouve donc avec 1500 euros de revenu supplĂ©mentaire. Mais, Ă  dĂ©penses gouvernementales identiques, l’État devra financer cette rĂ©duction d’impĂŽts par un emprunt. Cet emprunt consiste en des obligations arrivant Ă  Ă©chĂ©ance dans un an et rapportant un taux d’intĂ©rĂȘt rĂ©el monĂ©taire de 5%. Au bout d’un an, l’État devra rembourser capital et intĂ©rĂȘt. Il devra donc lever un impĂŽt l’annĂ©e suivante Ă©quivalent au montant de l’emprunt et des intĂ©rĂȘts versĂ©s. Si le mĂ©nage anticipe correctement que les dĂ©penses du gouvernement n’ont pas diminuĂ© d’un montant Ă©quivalent Ă  celui de la rĂ©duction d’impĂŽts, il sait que l’an prochain le gouvernement lĂšvera un impĂŽt pour payer les emprunts ! Il conserve donc les 1500 euros de la rĂ©duction d’impĂŽts, les place sur le marchĂ© des fonds prĂȘtables – il peut par exemple acheter les obligations Ă©mises par l’État -, et reçoit un an plus tard 1 575 € qui correspondront trĂšs exactement au supplĂ©ment d’impĂŽts dĂ» cette annĂ©e-lĂ . Cet exemple simple illustre le principe connu aujourd’hui sous le nom d’équivalence de Ricardo Des individus rationnels comprennent qu’une rĂ©duction d’impĂŽt financĂ©e par des emprunts est Ă©quivalente Ă  plus d’impĂŽts dans le futur. Ils annulent donc l’impact attendu de cette rĂ©duction d’impĂŽt sur la consommation prĂ©sente en Ă©pargnant la somme correspondante et en la capitalisant en prĂ©vision des hausses futures d’impĂŽt. L’analyse de Ricardo qui envisage un monde sans aucune illusion fiscale a Ă©tĂ© reformulĂ©e par Barro en 1974. Dans le modĂšle construit par ce dernier, en cas de relance budgĂ©taire financĂ©e par dĂ©ficit, les agents Ă©conomiques rationnels anticipent la probabilitĂ© d’une hausse d’impĂŽts futurs et augmentent leur Ă©pargne pour s’y prĂ©parer, ce qui diminue les effets du multiplicateur keynĂ©sien traditionnel[3]. En substituant la dette publique Ă  l’impĂŽt le gouvernement ne modifierait donc pas la valeur actuarielle des impĂŽts futurs et, de ce fait, le revenu permanent des mĂ©nages. Les individus ne seraient donc pas victimes de l’illusion fiscale puisqu’ils anticiperaient la hausse des impĂŽts futurs. Il importe toutefois de souligner que ce thĂ©orĂšme d’équivalence prĂȘte une rationalitĂ© trĂšs forte aux mĂ©nages et sans doute surestime largement la perception qu’ont les individus des obligations futures impliquĂ©es par le stock de dette existant aujourd’hui. Nous y reviendrons. Et que se passe-t-il lorsque les contribuables ne se rendent pas compte que la dĂ©pense actuelle se payera plus tard par des impĂŽts plus Ă©levĂ©s ; s’ils croient que l’État est plus gĂ©nĂ©reux » ou moins prĂ©dateur » qu’il ne l’est rĂ©ellement ? Les hommes politiques pourront en profiter Ă  leurs dĂ©pens. C’est le premier exemple d’illusion fiscale automatique que recense la thĂ©orie Ă©conomique l’illusion fiscale par la spoliation diffĂ©rĂ©e. Dans la continuitĂ© des rĂ©flexions de Ricardo, John Stuart Mill 1848[4] va lui aussi s’intĂ©resser aux dĂ©penses de l’État et Ă  l’impĂŽt, et il sera le premier Ă  souligner que l’impĂŽt direct est plus simple et plus clair pour le contribuable et qu’une mauvaise apprĂ©ciation de l’impĂŽt peut conduire Ă  des dĂ©penses publiques non voulues. Pour lui, la structure de la fiscalitĂ© directe ou indirecte influence la nature et l’importance des dĂ©penses publiques il y aurait sous-estimation du fardeau fiscal dĂšs lors que la fiscalitĂ© serait plutĂŽt indirecte que directe, affectant par lĂ  mĂȘme les choix politiques des citoyens contribuables. On retrouve la mĂȘme idĂ©e chez FrĂ©dĂ©ric Bastiat 1848[5] lorsque ce dernier distingue, en partant de l’histoire de la vitre brisĂ©e, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas » ; car l’illusion fiscale provient du fait qu’on ne tient pas compte de l’origine de l’argent public », ni du fait que les privilĂšges nĂ©s de la rĂ©glementation, des monopoles et de la fiscalitĂ© sont forcĂ©ment octroyĂ©s aux dĂ©pens de quelqu’un. Au dĂ©but du 20Ăšme siĂšcle, un Ă©conomiste italien, Amilcare Puviani[6], dĂ©veloppera une prĂ©sentation systĂ©matique de l’action fiscale de l’État[7]. Il tente de rĂ©soudre le problĂšme posĂ©, dit-on, par Colbert Comment plumer l’oie, de maniĂšre Ă  obtenir le plus grand nombre possible de plumes tout en entendant le moins possible de cris ». Selon lui, plusieurs procĂ©dĂ©s permettent Ă  un gouvernement de rĂ©aliser cet objectif Utiliser des taxes et impĂŽts indirects de prĂ©fĂ©rence aux impĂŽts directs, trop directement des monopoles d’État pour gĂ©nĂ©rer des revenus pour le TrĂ©sor public. Les monopoles d’État, malgrĂ© leur inefficacitĂ© lĂ©gendaire, permettent quand mĂȘme aux hommes au pouvoir de taxer indirectement la population en gonflant artificiellement le prix des produits et services fournis. Le poids mort Ă©conomique rĂ©sultant de l’inefficacitĂ© de ces sociĂ©tĂ©s est totalement invisible mais les dividendes versĂ©s au gouvernement sont, eux, largement publicisĂ©s. Ces monopoles servent Ă©galement Ă  privilĂ©gier des catĂ©gories d’employĂ©s, leur statut public servant de prĂ©texte au versement de subventions pour des missions de service public » inventĂ©es a la dette publique pour financer les dĂ©penses de l’État. Un gouvernement qui dĂ©sire financer un grand projet ou un dĂ©ficit opĂ©rationnel peut soit accumuler des surplus ou emprunter. Comme il est politiquement plus rentable de distribuer les surplus budgĂ©taires Ă  des fins Ă©lectoralistes, rares sont les gouvernements qui accumulent des les taxes et les impĂŽts sous forme de paiements pĂ©riodiques relativement croire Ă  la population que les consĂ©quences seront dĂ©sastreuses si les revenus du gouvernement ne sont pas augmentĂ©s. En faisant croire Ă  la population que la pĂ©rennitĂ© des systĂšmes de santĂ© et de l’éducation serait en pĂ©ril, les citoyens se retrouvent Ă  supplier le gouvernement de ne pas baisser les des courants populaires pour imposer de nouveaux impĂŽts et de temporaire l’introduction de nouveaux impĂŽts et de nouvelles les transferts d’actif. Habituellement le transfert d’actif est reliĂ© Ă  un Ă©vĂ©nement heureux qui amĂšne le contribuable Ă  minimiser l’aspect nĂ©gatif d’une le systĂšme fiscal et budgĂ©taire suffisamment complexe pour que personne, Ă  part quelques experts, ne puisse s’y retrouver. Aujourd’hui, tous les systĂšmes fiscaux mettent en Ɠuvre Ă  divers degrĂ©s les procĂ©dĂ©s dĂ©crits par Puviani. En matiĂšre de fiscalitĂ©, le but premier des politiciens est bien de crĂ©er l’illusion que les impĂŽts et les taxes des contribuables sont moindres que la rĂ©alitĂ©. En mĂȘme temps, ils s’efforcent aussi de crĂ©er l’illusion que les avantages obtenus par la population seraient plus grands que la rĂ©alitĂ©. Ainsi, il est possible pour le gouvernement d’imposer une fiscalitĂ© massive sans pour autant soulever l’opposition de la population. Telle est la vĂ©ritable nature des politiques de redistribution des revenus et des positions sociales de l’État. Plus rĂ©cemment des auteurs comme Baumol 1990[8], Becker 1983[9] ou encore Tullock 1967[10] ont dĂ©veloppĂ© des analyses originales de l’illusion fiscale Ă  travers les Ăąges, mĂȘme s’ils ne se rĂ©fĂšrent pas explicitement Ă  celle-ci. Ils ont constatĂ© en particulier que dans le cadre de la libertĂ© d’entreprendre il y a deux façons de devenir riche. La premiĂšre est de dĂ©velopper une entreprise honnĂȘtement, en jouant le jeu du marchĂ©, en s’efforçant de satisfaire ses clients
 Mais la mise en Ɠuvre de cette stratĂ©gie est difficile et ses rĂ©sultats alĂ©atoires. Certains prĂ©fĂšreront une stratĂ©gie gagnante Ă  coup sĂ»r. Pour cela ils vont tenter de s’acoquiner » avec l’État et de faire voter des lois leur assurant des rentes de situation confortables, aux frais du contribuable. Ainsi les entrepreneurs vont se faire concurrence pour s’accaparer des rentes qui Ă©manent des diffĂ©rentes formes d’interventions publiques. Cette course aux faveurs, ou recherche de rentes, est un jeu Ă  somme nulle, voire nĂ©gative puisque les ressources utilisĂ©es Ă  ces fins ne gĂ©nĂšrent pas de richesse et ne constituent qu’un gaspillage de ressources visant Ă  opĂ©rer un transfert de richesses existantes entre diffĂ©rents groupes ou entre diffĂ©rents agents Ă©conomiques. Ces analyses lĂšvent le voile sur les pseudo-profits et les pseudo-investissements qui peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des Ă©lĂ©ments constitutifs de l’illusion fiscale. Cependant leurs auteurs ne citent jamais le phĂ©nomĂšne d’illusion fiscale et paraissent mĂȘme en ĂȘtre victime puisqu’ils oublient de mentionner que les actes publics sont toujours fondĂ©s en dernier ressort sur l’irresponsabilitĂ© institutionnelle premiĂšre source d’illusion fiscale d’oĂč l’intĂ©rĂȘt de dĂ©velopper une thĂ©orie de l’illusion fiscale. Pourquoi une thĂ©orie de l’illusion fiscale ? Si les thĂ©oriciens de l’économie publique partent souvent du postulat que la structure fiscale ne fait que reflĂ©ter la demande de biens publics » par les contribuables, la thĂ©orie de l’illusion fiscale » va s’attacher pour sa part Ă  montrer pourquoi et comment la redistribution par le canal politique trompe systĂ©matiquement aussi bien ses artisans et ses bĂ©nĂ©ficiaires supposĂ©s que leurs victimes dĂ©signĂ©es. L’appareil fiscal et rĂ©glementaire engendre chez le contribuable une fausse conscience » qui consiste Ă  sous-estimer pour certains, et surestimer pour d’autres, ses charges et ses rentes, ce qui affecte Ă  son tour les dĂ©cisions publiques par l’intermĂ©diaire d’un dĂ©bat systĂ©matiquement faussĂ©. Pour avancer correctement dans ces problĂ©matiques il faudra distinguer deux dimensions de l’illusion fiscale l’une idĂ©ologique et l’autre mĂ©canique. Dans un premier temps il faut en effet se demander Ă  quel titre ceux qui pensent profiter de la redistribution politique auraient le droit » de disposer ainsi de la propriĂ©tĂ© d’autrui. Il faut aussi tenter de savoir Ă  quoi auraient effectivement consenti » les victimes. Ce type de question relĂšve de l’illusion idĂ©ologique pure et donc du traitement que la philosophie politique rĂ©serve au prĂ©tendu contrat » social censĂ© rationaliser tout cela. Le second type de questionnement porte sur la mĂ©connaissance de l’incidence rĂ©elle des impĂŽts et des subventions par ignorance des lois de l’économie. C’est un type particulier d’illusion fiscale qui consiste Ă  se tromper sur la destination effective des taxes et des subventions. Par exemple, bien que la TVA soit supportĂ©e en partie par les entreprises et que les subventions Ă  la culture se retrouvent pour une large part dans les poches des artistes cĂ©lĂšbres, la plupart des individus pensent que c’est le consommateur qui paie intĂ©gralement la TVA et que les subventions Ă  la culture profitent au plus grand nombre. Sans doute cette mĂ©connaissance de l’incidence fiscale, qui fait que la majoritĂ© de l’électorat pense qu’ elle ne paie pas d’impĂŽts_», doit beaucoup aux agissements de l’État qui suit mĂ©ticuleusement les prĂ©ceptes de Puviani. Pour reprendre les expressions de FrĂ©dĂ©ric Bastiat, l’État s’y entend pour monter en Ă©pingle la Main Douce », celle qui donne, tout en dissimulant soigneusement la Main Rude », celle qui prend et doit forcĂ©ment prendre plus que la Main Douce » qui donne. Que l’étatisme ait pu se dĂ©velopper dans les proportions que nous connaissons aujourd’hui, alors mĂȘme que nous devrions savoir que c’est notre propre argent que nous recevons de l’État, sans aucun profit pour personne le citoyen se trouvant simplement dĂ©pouillĂ© du droit de disposer librement de la moitiĂ© de son revenu, constitue en soi une illustration historique massive du phĂ©nomĂšne d’illusion fiscale. Quel raisonnement Ă©conomique peut expliquer l’illusion fiscale ? Tout acte Ă©conomique est un acte rationnel rĂ©alisĂ© intentionnellement dans le but de satisfaire des besoins, des dĂ©sirs, des impulsions. Les fins et les objectifs poursuivis sont individuels et reflĂštent les prĂ©fĂ©rences inter-temporelles du dĂ©cideur. Sa dĂ©cision se base Ă©galement sur le coĂ»t d’opportunitĂ© du choix envisagĂ© tel que ce coĂ»t est perçu par le dĂ©cideur c’est la valeur du second choix auquel il renonce, dans une situation individuelle donnĂ©e et dans un environnement informationnel donnĂ©. C’est pourquoi un individu ne peut pas choisir Ă  la place d’un autre ; tout simplement parce qu’il ne dispose pas de l’ensemble de ces donnĂ©es propres Ă  chaque individu. DĂšs lors que celui qui choisit ne porte pas les consĂ©quences de son choix la nature de la dĂ©cision changera et le systĂšme d’information gĂ©nĂ©rĂ© habituellement par des choix rationnels et individuels sera dĂ©truit. Or ce systĂšme d’information[11] est au cƓur d’un processus de coopĂ©ration libre et intentionnel qui permet Ă  tous les individus d’amĂ©liorer en permanence leur situation. Parce qu’elle nĂ©glige les perceptions individuelles des coĂ»ts et des avantages inhĂ©rents Ă  chaque choix – perceptions qui sont en temps ordinaires synthĂ©tisĂ©es par les prix de marchĂ© -, l’intervention de l’État va fausser systĂ©matiquement l’intĂ©rĂȘt que les gens ont Ă  s’informer dans un sens ou dans l’autre et donner naissance Ă  une illusion fiscale. Une chaĂźne d’erreurs va en effet s’ensuivre dĂšs lors que l’État devient dĂ©cideur La confusion entre un acte de spoliation lĂ©gale et un acte mĂ©connaissance des lois de l’incidence fiscale comme dans le cas de la TVA.Et, finalement, le fait que toute richesse dĂ©tournĂ©e de son usage responsable, c’est-Ă -dire individuel, tend Ă  ĂȘtre dĂ©truite par le processus fiscal et rĂ©glementaire de l’État si ce n’est que parce que elles seront allouĂ©es sur la base d’une fausse perception de la rĂ©alitĂ©. L’État peut tenter de pallier ce manque d’informations en Ă©valuant au prix du marchĂ© » les enjeux de la dĂ©cision publique pour les bĂ©nĂ©ficiaires, pour les victimes et pour lui-mĂȘme. C’est ce que systĂ©matise la comptabilitĂ© nationale » et que traque – parce qu’elle y voit une grave erreur – la thĂ©orie de l’illusion fiscale qui utilise Ă  son Ă©gard l’expression de sophisme comptable ». L’erreur consiste Ă  se donner pour indicateurs de la valeur et du coĂ»t d’une action des prix qui n’ont rien Ă  voir avec la dĂ©cision envisagĂ©e, soit que ces prix se soient formĂ©s bien avant, dans d’autres circonstances, sur les marchĂ©s, soit, dans le cas qui nous occupe, que ces prix ne reflĂštent pas les vrais coĂ»ts et avantages des dĂ©cisions puisque ces dĂ©cisions sont prises dans un cadre institutionnel oĂč ce ne sont pas les rĂ©elles perceptions des individus qui inspirent les dĂ©cisions. Le comble du sophisme comptable consiste naturellement Ă  supposer qu’un systĂšme de planification centralisĂ©e, oĂč les prix auraient disparu, pourrait procĂ©der Ă  des comparaisons de valeur et de coĂ»t. Rappeler que ce n’est pas possible Ă©tait le message principal de Ludwig von Mises et Friedrich Hayek. C’est aussi le tĂ©moignage de cet homme d’affaire qui, de retour d’URSS, rapportait que les planificateurs soviĂ©tiques n’ont jamais Ă©laborĂ© leurs fameux Plans » qu’en se fondant sur les prix des catalogues occidentaux. C’est parce qu’elle dĂ©connecte nĂ©cessairement – par manque d’information – la prise de dĂ©cision des coĂ»ts et avantages rĂ©els de cette dĂ©cision que la dĂ©cision publique est irresponsable. Et c’est cette irresponsabilitĂ© politique ou institutionnelle qui engendre l’illusion fiscale lorsque le dĂ©cideur public l’homme politique ou le haut fonctionnaire dispose du bien d’autrui sans son consentement, la violence destructrice apparaĂźt et avec elle la destruction d’information. L’interventionnisme de l’État permet Ă  des individus qui n’en subiront pas les consĂ©quences de dĂ©cider Ă  la place des gens qui de ce fait en sont rĂ©duits Ă  la passivitĂ©, incapables de prendre en compte les coĂ»ts et les avantages d’une dĂ©cision sur laquelle ils n’ont pas de prise. Ils ne peuvent tout-au-plus que rechercher les moyens de s’y adapter. Il en rĂ©sulte une double destruction d’information, qui est le produit inĂ©luctable de l’irresponsabilitĂ©, elle-mĂȘme produit de l’étatisme. Ces problĂšmes inhĂ©rents Ă  l’interventionnisme n’ont pas Ă©chappĂ© Ă  l’attention d’économistes perspicaces qui ne connaĂźt les quatre maniĂšres de dĂ©penser de l’argent selon Milton Friedman 1980[12] ? DĂ©penser son propre argent pour soi-mĂȘme ; dĂ©penser son propre argent pour les autres ; dĂ©penser pour soi-mĂȘme l’argent des autres ; dĂ©penser pour les autres l’argent des autres ! De mĂȘme que la prĂ©fĂ©rence dĂ©montrĂ©e le choix effectif et l’échange libre sur un marchĂ© permettent de maximiser le bien-ĂȘtre de l’ensemble des individus, de mĂȘme tout Ă©change forcĂ© ou frauduleux dĂ©tĂ©riore la situation des individus Ă©voluant dans une sociĂ©tĂ© de marchĂ© entravĂ©e. La responsabilitĂ© comme rĂšgle gĂ©nĂ©ralement acceptĂ©e n’existe plus et les droits de propriĂ©tĂ© sont bafouĂ©s. Il paraĂźt donc nĂ©cessaire de dĂ©finir ce concept d’illusion fiscale comme un Ă©cart entre la rĂ©alitĂ© d’un acte politique nĂ©cessairement violent » et le discours qui accompagne cet acte souvent trompeur et rassurant. Afin de mesurer l’ampleur de cet Ă©cart il est intĂ©ressant de dĂ©crire plus prĂ©cisĂ©ment l’un des procĂ©dĂ©s d’illusion fiscale. Nous prendrons ici celui du dĂ©ficit public. Le dĂ©ficit public un procĂ©dĂ© d’illusion fiscale On a vu, avec les travaux de Ricardo, que des agents Ă©conomiques correctement informĂ©s sur le dĂ©ficit public le percevraient immĂ©diatement, et Ă  juste titre, comme un impĂŽt qu’il faut actualiser. Cependant, tout le monde n’est pas aussi bien informĂ©, et on peut penser que les hommes de l’État comptent bien sur cette ignorance et mĂȘme chercheront Ă  l’entretenir. De fait, en ne prĂ©levant que plus tard par l’impĂŽt l’argent qu’il dĂ©pense aujourd’hui, l’État contribue Ă  fausser la perception des contribuables. C’est pourquoi l’endettement public mĂ©rite ce qualificatif de spoliation diffĂ©rĂ©e. Ce procĂ©dĂ© pratique d’illusion fiscale fut le premier Ă  ĂȘtre reconnu historiquement ; c’est le plus dĂ©libĂ©rĂ©, le mieux compris par les Ă©conomistes voire par les politiques qui y ont recours ; celui-lĂ  mĂȘme qui a donnĂ© naissance Ă  l’expression d’illusion fiscale et auquel certains auteurs assimilent encore exclusivement celle-ci. Les gens qui se laissent prendre Ă  ce tour de passe-passe peuvent alors croire en un État qui donne plus qu’il ne prend, c’est-Ă -dire, en un État distributeur de richesses gratuites », un État corne-d’abondance ou, comme le disait Ludwig von Mises, Ă  l’État PĂšre-NoĂ«l. Ce procĂ©dĂ© peut tromper mĂȘme les statisticiens, soi-disant experts de l’impĂŽt et des dĂ©penses publiques, si ceux-ci Ă©valuent l’ingĂ©rence de l’État dans l’économie Ă  l’aune des impĂŽts qu’il prĂ©lĂšve. En effet, lorsque les gouvernements achĂštent, lorsqu’ils distribuent, ils interviennent » tout autant dans l’économie que lorsqu’ils prĂ©lĂšvent obligatoirement c’est donc Ă  l’aulne des dĂ©penses de l’État, et non pas seulement Ă  celui des recettes fiscales, qu’il faudrait mesurer ces ingĂ©rences. Le jeu de l’État est d’autant plus pervers – car crĂ©ateur d’illusion – que les hommes politiques au pouvoir espĂšrent se soustraire aux contraintes Ă©lectorales en distribuant de l’argent aujourd’hui avec l’idĂ©e que ce sera aux futurs Ă©lus d’organiser le remboursement en prĂ©levant alors les impĂŽts sur des Ă©lecteurs qui ne sont peut-ĂȘtre mĂȘme pas nĂ©s aujourd’hui. Ce ne sont donc pas leurs Ă©lecteurs d’aujourd’hui mais les Ă©lecteurs Ă  venir qu’ils vouent Ă  l’imposition sans que ces derniers ne puissent seulement participer au simulacre de consentement mis en scĂšne par les institutions supposĂ©es dĂ©mocratiques ». Les hommes de la classe au pouvoir font un large usage de ce procĂ©dĂ©. Ils ne le font pas seulement en empruntant de l’argent pour le dĂ©penser tout de suite, c’est-Ă -dire en choisissant le dĂ©ficit budgĂ©taire comblĂ© par l’emprunt ; ils le font aussi, depuis la fin du 20Ăšme siĂšcle, en s’engageant au titre de la retraite par rĂ©partition. LĂ  encore, il s’agit pour l’État de prĂ©senter faussement la rĂ©alitĂ© des comptes publics, puisque les engagements pris au titre des retraites par rĂ©partition ne sont pas comptabilisĂ©s comme une dette qui devra faire l’objet d’un impĂŽt futur. Le comptable objectera peut-ĂȘtre que, en tant que promesses d’argent prĂ©levĂ© sur d’autres, les droits » Ă  la retraite par rĂ©partition n’ont pas la consistance juridique d’un endettement[13]. Ce qui donne d’ailleurs la possibilitĂ© aux technocrates de la SĂ©curitĂ© sociale d’altĂ©rer Ă  leur guise ces prĂ©tendus engagements ». Relevons tout de mĂȘme que si un homme d’affaire quelconque venait Ă  proposer des conditions similaires Ă  celle que la retraite par rĂ©partition impose Ă  ses assujettis, il irait directement en prison pour escroquerie ! Puisqu’il n’y a mĂȘme pas de comptabilitĂ© honnĂȘte des engagements de l’État, et que celui-ci peut toujours violer les rĂšgles de type constitutionnel qui feraient obstacle Ă  l’accroissement illimitĂ© des promesses Ă©tatiques d’argent prĂ©levĂ© dans l’avenir – comme on a pu amplement et amĂšrement le constater avec le Pacte de stabilitĂ© » autrefois supposĂ© contraignant » du TraitĂ© de Maastricht -, il n’y a plus que les marchĂ©s financiers qui puissent – et seulement au moment oĂč ils commencent Ă  douter que ces promesses puissent ĂȘtre tenues – attirer l’attention sur le fait que l’endettement Ă©tatique n’est qu’un impĂŽt diffĂ©rĂ©, et qu’il consiste Ă  consommer l’épargne actuelle. On peut Ă  cette occasion remarquer que les deux types de procĂ©dĂ©s d’illusion fiscale, le procĂ©dĂ© idĂ©ologique et le procĂ©dĂ© mĂ©canique, se renforcent ici mutuellement. La technique de la spoliation diffĂ©rĂ©e s’accompagne aujourd’hui d’une rationalisation qui laisse entendre que l’épargne serait une fuite » dans le circuit de la dĂ©pense. Dans la rĂ©alitĂ©, bien entendu, les entreprises, comme les consommateurs, passent leur temps Ă  faire des achats ce sont elles, par exemple, qui achĂštent le travail des salariĂ©s, et elles le paient avec de l’argent Ă©pargné  L’épargne est donc investie et permet les emplois d’aujourd’hui et de demain ; consommer l’épargne a pour effet de rĂ©duire les perspectives d’embauche et de rĂ©munĂ©ration de ceux qui veulent travailler. Exalter la consommation comme moyen de relancer l’économie » est donc un mensonge, bien pratique pour ceux qui veulent continuer Ă  pratiquer la technique de la spoliation diffĂ©rĂ©e. La spoliation diffĂ©rĂ©e n’est qu’un des procĂ©dĂ©s de l’illusion fiscale et on pourrait en identifier bien d’autres. Les thĂ©oriciens des choix publics ont insistĂ©, par exemple, sur la logique de l’action collective les avantages tirĂ©s d’une dĂ©cision publique sont souvent concentrĂ©s sur un petit nombre d’individus alors que les coĂ»ts sont largement rĂ©partis sur une large population qui de ce fait ne verra pas l’intĂ©rĂȘt qu’il y aurait Ă  se mobiliser contre tel ou tel privilĂšge, alors que dans le mĂȘme temps les privilĂ©giĂ©s potentiels s’activent. Certes, des institutions dĂ©mocratiques pourraient combattre cette tendance – on pense Ă  nos voisins suisses et au referendum obligatoire pour tout accroissement des charges publiques –, mais comment faire pour les mettre en place sachant la prĂ©pondĂ©rance des intĂ©rĂȘts qui s’y opposeraient ? Autre exemple d’illusion fiscale l’absence de concurrence pour les services monopolisĂ©s par l’État qui cache aux citoyens la mauvaise affaire que sont pour eux les services publics » qui leurs sont fournis ; c’est la Censure du Monopole. Mais il y en a bien d’autres
 Pour une dĂ©finition rĂ©aliste de l’illusion fiscale Finalement, tout comme l’a proposĂ© l’économiste François Guillaumat, notre propos consiste Ă  dĂ©montrer que l’illusion fiscale est l’écart cachĂ© entre le coĂ»t et les bĂ©nĂ©fices d’une action Ă©tatique ; qu’une politique de redistribution gaspille presque autant d’argent que l’impĂŽt lui-mĂȘme et que cette loi Ă©conomique est valable quelle que soit la qualitĂ© de la gestion de l’État. En effet, lorsque des citoyens investissent » leur temps, souvent en vain, pour tenter de profiter d’un pactole de l’État, pendant ce temps ils ne produisent pas des vraies richesses. Ces pseudo-investissements de temps passĂ© sont donc un gaspillage qui tend Ă  augmenter jusqu’à atteindre le montant du pactole Ă  distribuer. L’illusion fiscale masque, travestit chaque action de l’État spoliateur. La TVA, l’impĂŽt le plus efficace, est indolore, presque invisible. L’interdiction de concurrencer les services Ă©tatiques crĂ©e une fausse raretĂ© de l’assurance-santĂ©, de la sĂ©curitĂ©, des transports, de la monnaie, de la Justice, de l’enseignement. L’absence de concurrence cache ainsi aux citoyens le coĂ»t rĂ©el des services publics » qui leurs sont fournis. L’illusion fiscale donne ainsi Ă  penser que certains biens fournis par l’État sont gratuits ce qui est l’autre face du miroir. Nous sommes donc victimes d’illusion fiscale lorsque nous croyons que l’action de l’État rapporte plus d’avantages, ou moins d’inconvĂ©nients, qu’elle ne le fait en rĂ©alitĂ© ; que l’on tire des avantages nets des politiques Ă©tatiques, qu’en dĂ©finitive on prĂ©fĂšre marginalement ces avantages nets lĂ©gaux aux avantages nets que l’on tirerait d’un vĂ©ritable Ă©tat de droit, c’est-Ă -dire, un État oĂč la propriĂ©tĂ© privĂ©e, la responsabilitĂ© personnelle et la libertĂ© de contacter seraient respectĂ©es. Car il n’y a rĂ©pĂ©tons-le que deux moyens pour se procurer des richesses les produire ou les prĂ©lever par l’impĂŽt[14]. La troisiĂšme catĂ©gorie, la redistribution » sur laquelle les hommes de l’État prĂ©tendent justifier leur interventionnisme, n’existe tout simplement pas. Les prĂ©tentions des hommes de l’État Ă  allouer les ressources de maniĂšre efficace, Ă  les rĂ©partir de maniĂšre juste et Ă  en stabiliser la circulation n’ont tout simplement pas de sens », comme le souligne le professeur Salin dans L’arbitraire fiscal. L’influence des cascades informationnelles et la manipulation des croyances Il est possible d’influencer l’opinion publique en crĂ©ant des cascades informationnelles[15]. Si celles-ci peuvent avoir un effet bĂ©nĂ©fique lorsqu’elles ne sont pas fondĂ©es sur des informations erronĂ©es, dans le cas contraire elles contribuent Ă  une violation des droits individuels. La manipulation de l’opinion publique par les activistes des groupes de pression implique un usage intensif de figures de rhĂ©torique[16], des biais dans la perception que les individus ont des risques, de diffusion de fausses informations dans le seul but d’enclencher une cascade qui va modifier l’opinion publique en faveur de la rĂ©glementation et non pas dans le but d’éclairer le public sur les vĂ©ritables risques encourus. Cette manipulation des croyances met alors en pĂ©ril la dĂ©mocratie politique contemporaine dĂ©jĂ  si sensible Ă  l’opinion majoritaire. Enfin, outre les procĂ©dĂ©s d’illusion fiscale et de formation des croyances, il faut souligner que certaines Ă©tudes rĂ©alisĂ©es sur le consentement Ă  l’impĂŽt – en gĂ©nĂ©ral pour justifier l’impĂŽt – ne reflĂštent pas la rĂ©alitĂ© puisqu’aucune correction n’est apportĂ©e dans ces Ă©tudes pour prendre en compte le biais liĂ© Ă  l’illusion fiscale. Le consentement Ă  l’impĂŽt est pour une large part un leurre qui, comme le leurre de la loi, fait dĂ©sirer quelque chose qui n’est en fait qu’une violation de votre droit Ă  jouir des biens et services que vous avez produits. La recherche de rentes et l’illusion fiscale L’évolution du concept d’illusion fiscale Ă  travers les Ăąges nous a amenĂ© Ă  utiliser le terme de recherche de rente » pour dĂ©crire l’éventail des mesures de nature politique subventions, gratuitĂ© de service, exemptions fiscales, rĂ©glementation qui constituent une barriĂšre Ă  l’entrĂ©e du marchĂ©. Dans tous les cas il s’agit d’avantages accordĂ©s par voie politique qui ne pourraient ĂȘtre obtenus sur un marchĂ© libre. La rĂ©ussite d’un groupe Ă  obtenir, par cette voie, un avantage qui lui serait inaccessible par le marchĂ©, invite d’autres personnes Ă  se constituer Ă  leur tour en groupe chasseur de rentes. La concurrence politique supplante alors la concurrence Ă©conomique. Ce changement d’incitations n’est pas neutre. L’incitation Ă  l’innovation est moindre dans l’ordre politique. Les acteurs politiciens n’assument pas personnellement les suites de leurs dĂ©cisions et les sommes engagĂ©es dans la recherche de rentes » constituent une pure perte. Finalement, l’activitĂ© de recherche de rentes » fait partie de l’illusion fiscale puisqu’elle incite les individus Ă  se spĂ©cialiser dans des activitĂ©s improductives destinĂ©es Ă  obtenir des faveurs, et non dans des activitĂ©s productives destinĂ©es Ă  servir les besoins des consommateurs. Conclusion Se servir du concept de l’illusion fiscale pour assainir les structures dĂ©mocratiques Maintenant que les procĂ©dĂ©s de l’illusion fiscale ont Ă©tĂ© dĂ©masquĂ©s et analysĂ©s on pourra s’en servir pour dĂ©finir les rĂ©formes institutionnelles qui permettront, en rĂ©tablissant le lien entre l’action et ses consĂ©quences dans l’esprit de ceux qui agissent, de procĂ©der au dĂ©sillusionnement fiscal » des citoyens, quel qu’ait Ă©tĂ© leur statut dans la sociĂ©tĂ© Ă©tatisĂ©e. Comme le montrait dĂšs 2007 le calcul d’un indicateur d’illusion fiscale, on peut, Ă  la suite de l’étude Towards a Fiscal Illusion Index »[17], dĂ©finir les bonnes rĂšgles de gouvernance d’un État et attaquer les procĂ©dĂ©s d’illusion fiscale. Ceci n’est pas un vƓu pieux puisque l’illusion fiscale a diminuĂ© entre 1960 et 2006, comme le montrait le calcul de l’indice d’illusion fiscale rĂ©alisĂ©e par le professeur Mourao. LĂ  oĂč la transparence et l’irrĂ©prochabilitĂ© du fonctionnement de l’ État sont garantis et lĂ  oĂč l’État se borne Ă  garantir l’appropriation, l’usage et la transmission des biens et ressources rares, l’illusion fiscale disparaĂźt. [1] Salin P., L’arbitraire fiscal. Paris Robert Laffont, 1985. LibertĂ©s 2000. [2] Ricardo D., Des principes de l’économie politique et de l’impĂŽt. Paris Flammarion, 1981. [3] Buchanan J., “Barro on the Ricardian Equivalence Theorem,” Journal of Political Economy. Avril 1976, vol 84, n°2. p. 337-342. [4] Mill Principes d’économie politique. Paris Guillaumin, 1873 ; Wagner, “Revenue Structure, Fiscal Illusion, and Budgetary Choice,” Public Choice. 1976, vol. 25, p. 45-61; Tyran et Sausgruber R., “Testing the Mill Hypothesis of Fiscal Illusion,” Public Choice, 2005, issue 1, 39-68. [5] Bastiat F., Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas choix de sophismes et de pamphlets Ă©conomiques. Paris Romillat, 1994. [6] Puviani A., Teoria della illusione nelle netrate publiche. Perugia 1897 et Puviani A., Teoria della illusione Finanziaria. Palermo 1903. [7] Lorsque James Buchanan Ă©crit Public Finance in Democratic Process Fiscal Institutions and Individual Choice, peu d’économistes s’étaient penchĂ©s sĂ©rieusement sur l’analyse de l’illusion fiscale en gĂ©nĂ©ral ; la seule Ă©tude systĂ©matique que celui-ci pouvait citer Ă©tait justement celle de Puviani. Voir, Public Finance in Democratic Process Fiscal Institutions and Individual Choice, Indianapolis, IN Liberty Fund Inc. 1967, [8] Baumol “Entrepreneurship Productive, Unproductive and Destructive,” Journal of Political Economy. University of Chicago Press, Octobre 1990, vol. 98, n° 5, part 1, p. 893-921. [9] Becker G., “A Theory of Competition Among Pressure Groups for Political Influence,” Journal of Political Economy. University of Chicago Press, AoĂ»t 1983, vol. 98, n°3, p. 371-400. [10] Tullock G., “The Welfare Costs of Tariffs, Monopolies, and Theft,” Western Economic Journal. 1967, vol 5, p. 224-232. Tullock G., The rent-seeking society – The selected works of Gordon Tullock. Indianapolis Liberty Fund, 2005. Vol. 5. [11] Ce sont les prix et les pertes et profits relatifs issus de la confrontation des offres et des demandes des individus et groupes d’individus pour l’ensemble des biens et services existants et Ă  venir. [12] Friedman M., Free to Choose. Thomson learning, 1990. [13] Il faut savoir qu’un endettement authentique est fondĂ© sur un acte de prĂȘt et qu’un individu Ă  accepter de reporter une consommation prĂ©sente pour une consommation future. Un crĂ©dit authentique est toujours basĂ© sur une Ă©pargne correspondante. Le crĂ©dit créé sans contrepartie d’épargne n’est pas un crĂ©dit c’est une illusion monĂ©taire, qui ne persiste que par les procĂ©dĂ©s de la spoliation indirecte et de la censure du monopole. [14] Salin P., LibĂ©ralisme. Paris Odile Jacob, 2000. [15] Lemmenicier B., Les cascades d’opinion ou la formation des croyances et le politiquement correct dans l’information sur les comportements Ă  risque », Journal des Ă©conomistes et des Ă©tudes humaines, DĂ©cembre 2001, vol. 11, n°4. [16] Guillaumat F., Le renard dans le poulailler » in De l’ancienne Ă  la nouvelle Ă©conomie. Aix-en-Provence Librairie de l’UniversitĂ©, 1987, [
] Pour fausser leur raisonnement, les idĂ©ologues du socialisme ont dĂ» surprendre leur bonne foi. Pour ce faire le procĂ©dĂ© est millĂ©naire c’est la perversion du langage. La plupart des gens se servent des mots sans connaĂźtre leur dĂ©finition prĂ©cise – quand ils en ont une -, et ceux qui comprennent la fonction des concepts sont encore moins nombreux. Il est alors possible d’invoquer des abstractions sans rapport avec la rĂ©alitĂ©, littĂ©ralement indĂ©finissables, des sortes d’anti-concepts qui, au lieu d’économiser la pensĂ©e et de la rendre plus claire, comme le font la plupart des concepts valides, la rendent au contraire impossible en engendrant la confusion
 » [17] Cf. Mourao P., Towards a Fiscal Illusion Index [en ligne]. Minho Gualtar Department of Economics & NIPE NĂșcleo de Investigação em PolĂ­ticas EconĂłmicas University of Minho Gualtar, 2007. Disponible Ă 

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